Les vivants se sont tus...
Les vivants se sont tus, mais les morts m'ont parlé,
Leur silence infini m'enseigne le durable.
Loin du coeur des humains, vaniteux et troublé,
J'ai bâti ma maison pensive sur leur sable.
- Votre sommeil, ô morts déçus et sérieux,
Me jette, les yeux clos, un long regard farouche ;
Le vent de la parole emplit encor ma bouche,
L'univers fugitif s'insère dans mes yeux.
Morts austères, légers, vous ne sauriez prétendre
À toujours occuper, par vos muets soupirs,
La race des vivants, qui cherche à se défendre
Contre le temps, qu'on voit déjà se rétrécir ;
Mais mon coeur, chaque soir, vient contempler vos cendres.
Je ressemble au passé et vous à l'avenir.
On ne possède bien que ce qu'on peut attendre :
Je suis morte déjà, puisque je dois mourir...
Anna de Noailles.