Un gros brouillon de culture. Mon espèce : nous sommes des hominidés appartenant à l'ordre des primates, derniers représentants de l'espèce homo, autrefois divisée en une quinzaine de branches.
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dimanche 5 août 2012
Pour solde de tout conte...
Je regardais des canards sauvages l'autre jour sur les bords de Seine. Je les trouvais beaux et gracieux. Majestueux même. Je me suis demandé pourquoi nous les percevions d'une façon générale comme des animaux ignobles. Pourquoi nous les méprisions. Observez. Les renvois aux canards sont toujours négatifs . On dit : marcher comme un canard lorsqu'une démarche est disgracieuse, parler comme un canard lorsqu'une voix est nasillarde et désagréable. On en fait des symboles d'indifférence à leur environnement : ça m'est passé dessus comme l'eau sur le dos d'un canard. Avoir une tête de canard ou une bouche de canard est rarement une bonne chose. Aux canards, on préfère les cygnes, moins colorés (donc plus fades), plus sensibles (donc plus fragiles), ou même les oies sauvages (tout comme aux pigeons, on préfère les colombes).
Alors, les canards : moches, stupides, indifférents, disgracieux, imbuvables ?
Pour comprendre l'origine possible - et peut-être injustifiée ? - de ce mépris, je suis remonté jusqu'à mes premières évocations du canard, à l'école maternelle. Je me suis souvenu des contes pour enfants que me racontait ma maîtresse, et d'un conte, en particulier. Oui, vous voyez lequel.
Le conte " Le Vilain Petit Canard " a paradoxalement changé tous les canards d'Occident en des sortes de moutons noirs de la création dans l'imaginaire collectif - volatiles stupides et indignes. Puis Donald Duck a achevé le travail (merci Disney...). À force de servir de figures négatives récurrentes, les canards sont devenus eux-mêmes - oh, ironie ! - les Vilains petits canards du règne animal.
Exemple de mythe pour enfants très contreproductif je trouve.
De ce point de vue, de façon presque allégorique et inconsciente, le cygne de l'histoire est un peu aux canards ce que Jésus a été aux Juifs. Et - par voie de conséquence - les canards sont un peu devenus les Juifs du règne animal - les cygnes en étant les Chrétiens (une analyse plus poussée du Vilain Petit Canard mettrait assez vite en évidence, je pense, certains ressorts de notre attachement à Jésus).
Il y en a d'autres, des mythes contreproductifs : tous les contes et fables impliquant loup cruel et bête, renard malin, corbeau avide ou orgueilleux, cigale ou cochons feignants, etc.
Je me méfie beaucoup des contes et comptines pour enfants, pleins d'idées reçues et de dogmes simplistes, qui véhiculent une vision un peu manichéenne et cul-cul du monde : le Vilain petit canard (tu es un être exceptionnel, victime du monde méchant et cruel, ta gentille maman va venir te sauver et tu vas retrouver ta vraie communauté d'appartenance), Pierre et le loup (mentir : c'est mal), le Petit Chaperon rouge (jeune fille, l'homme est un prédateur, il y a un loup dangereux derrière chaque arbre, méfie-toi du loup qui dort jusque sous les habits de ta grand-mère), les Trois Petits Cochons (glander c'est mal, le travail c'est bien), toutes les histoires de princes et de princesses (qui rendent les femmes si malheureuses à l'âge adulte...), etc. Ça formate l'esprit à une forme de bien-pensance qui est loin d'être neutre. Ça entretient des névroses en calquant nos exigences sur des mythes fondateurs - en rendant plus difficile l'adaptation au monde réel (qui est toujours une « déception » et qu'on essaye de fuir). Ça crée des normes et une vision de l'homme bien souvent absurdes. Ça forge notre imaginaire collectif hors-contact avec le monde et ça nous fait aller dans un certain sens (mais lequel ?). Ça nous berce dans des préconçus souvent stupides (mais tyranniques).
Les contes pour enfants sont une véritable machine de propagande : ils soutiennent une morale traditionnelle et une certaine vision de l'homme. Les corpus de nos contes sont à l'Occident ce que les légendes Bibliques étaient aux Hébreux : ils sont au fondement de notre civilisation, de notre éthique, bien plus que la Bible, qu'on connaît mal, et qui a fait les frais de longues décennies d'anticléricalisme. Parce qu'ils jouissent encore d'une aura positive, ils ont encore une vraie influence sur nos enfants, tout comme ils en ont eu sur nous. Ils nous ont faits, et nous font encore.
Et ça impacte jusqu'au niveau politique, jusqu'au niveau économique et social. Nous attendons tous encore, à notre façon, un sauveur, un roi, un Prince, un ange, une maman cygne : un homme ou une femme providentiels. Nous avons tous encore en tête, quelque part, que l'homme est un loup pour l'homme : nous nous définissions a contrario - dis-moi quels sont tes canards, je te dirai quel cygne tu es. Dans la vie comme dans les contes, les gentils - les héros ! - sont forcément beaux. Les méchants sont forcément moches. - Malheur aux moches donc ! - Les trois petits cochons dorment dans chacun de nous, et nous incitent à aller travailler, sagement, tous les jours, la fleur au fusil. La cigale feignante pointe à Pôle Emploi, et vit aux crochets de la France des fourmis courageuses, qui se lèvent tôt. Nous aimons encore qu'on nous raconte de belles histoires, toutes simples, qui nous confortent dans nos peurs et nos illusions, et qu'on ne passera pas au tamis de notre esprit critique, parce qu'elles nous endorment depuis l'enfance.
Et puis au niveau écologique, ça n'a l'air de rien, mais les loups ont failli y passer complètement à cause de ce genre de conneries : ils ont aujourd'hui encore très mauvaise réputation du fait des contes populaires alors que je les trouve, eux aussi, très majestueux, gracieux et dignes.
Peut-être faudrait-il, à un moment, se pencher sur nos contes et se demander ce qu'on en tire, et ce en quoi ils sont discutables. Peut-être faudrait-il envisager, à un moment, à l'école, de les discuter. Cela permettrait de refonder nos valeurs et de forger un esprit critique - donc civique - dès l'enfance. Peut-être faudrait-il enfin véritablement solder nos contes avec les vieilles morales passées de nos aïeux pour s'élever au-delà, pour écrire notre histoire et cesser de vivre la leur.
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