Partant d'une blague, ce blog devient quelque chose de réel. L'idée était de toucher à une matière douloureuse : l'espace publique, et la confrontation à l'autre, via les mots. Ecrire. Sans rien écrire de sérieux. Pour ne rien risquer de perdre. Car j'ai peur qu'on me vole mes idées, mes phrases, mes mots. C'est là le TROUBLE DU COMPORTEMENT de votre humble serviteur. Ce que je suis n'est à moi que dans la mesure où je l'écris. " Les mots sont faits de souffle et le souffle de vie." disait Shakespeare. Et les Arabes ont un proverbe qui dit : " Ce que tu écris te ressemble. " Je suis d'accord avec eux. Je vis d'accord avec eux même. Je ne vis que dans cette mesure. Et dans le même temps, ce que j'écris ne m'appartient plus. C'est à la disposition de tous. Les paroles s'envolent. Les écrits restent, oui, mais ils m'échappent, autant qu'ils restent. Ma langue n'est plus dans ma bouche : elle est sur le papier, sur mon écran, sur ceux des autres, ailleurs. Ils peuvent me la voler, se l'approprier. Je suis écartelé, coupé en morceaux, éparpillé aux quatre vents.
Je n'arrive à rien publier donc. Je vis en moi comme dans une prison. J'ai peur de me faire voler ce que j'écris. La question des droits d'auteur, du plagiat, tous ces fantasmes qui ne sont que des prétextes dont s'habillent mes angoisses, bien réelles, elles. Je n'arrive pas à écrire. Le problème, c'est que moins j'y arrive, plus j'en ai envie, une sorte d'envie obsessionnelle : les idées et les mots se bousculent au portillon, c'est l'embouteillage, et moi, je suis là, avec ma vie à la place du mort, loin, bien loin derrière sur la route, et je me demande ce qu'ils foutent devant, pourquoi c'est bouché, pourquoi ça n'avance pas. Alors je klaxonne, je m'énerve, j'entends ma vie qui me passe sous le nez avec des girofards d'ambulance : elle agonise, bip, bip, biiiiiiiiiiiiip. Elle meurt. Et je ne suis même pas à son chevet !
Donc, la seule solution que j'ai trouvée, c'est d'écrire. Mais pour rire. Pas pour de vrai. D'écrire des trucs nuls, minables, que personne ne me volera. Mais écrire, quand même. Parce que ça me fait trop mal de ne pas entendre le bruit du clavier, mes doigts qui dansent sur les touches, moi qui ne danse nulle part, avec personne. Me voilà donc, pour rire. Le problème, c'est qu'on a tôt fait de se justifier, quand on écrit des bêtises. Trois lignes de conneries, et j'explique déjà que je n'écris rien qui vaille pour qu'on ne puisse pas me le voler. Les mots, disait Fernando Pessoa, ont une existence propre, ils sont une matière. Moi, c'est mon seul trésor. Le contact le plus agréable, le plus respectueux, le plus enrichissant que j'ai eu avec des êtres humains, c'est par le biais de livres, par le biais de mots. C'est à travers eux, et d'eux uniquement, que j'ai pris la mesure de la profondeur, de la bonté et de l'intelligence humaine.
Qu'est-ce que c'est que ce blog ? J'écris pour dire que je n'arrive pas à écrire.
C'est aussi bête et ridicule que cela.
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