À quoi se mesure le degré de civilisation d'un peuple ? Vaste question hein... Vaste réponse aussi ! Et chacun a sa petite idée là-dessus je crois... Gandhi disait " à la façon dont les hommes traitent leurs animaux. " Freud défendait l'idée suivant laquelle l'abolition de la peine de mort marquait un progrès décisif dans l'élévation du degré de civilisation d'une nation. Tyler Durden, dans Fight Club, disait que c'était à la fréquence des bains et à l'utilisation du savon. Toto le Tuneur pense que c'est au nombre de voitures tunées qui circulent dans nos rues. Tous nos héros modernes ont leur petite idée là-dessus donc. Ils ont dû cogiter ça pas mal. Et ils ont sûrement tous un peu raison quelque part. On peut prendre tout un tas d'autres marqueurs d'ailleurs, en fonction de notre sensibilité : taux de scolarisation ou d'alphabétisation, taux de participation aux élections, l'égalité hommes-femmes, etc. Les marqueurs, ça ne manque pas. Mais en fait, au-delà de tous ces critères, je crois que le degré de civilisation d'un peuple est tout simplement la somme du degré de civilisation et de maturité des individus qui le composent : vous, moi, lui, elle là-bas, lui aussi, et tous les autres. C'est nous qui fixons, au quotidien, les degrés de courtoisie et de civilisation ambiants. Pour faire face aux récalcitrants, à ceux qui ont décidé de rester des primates quoi qu'il en coûte, eh bien on est bien obligés de faire appel à quelqu'un. Alors ce quelqu'un a plein de visages. Certains nous sont familiers : ce sont les flics, les juges, les profs, les huissiers, enfin tous ces mecs qu'on n'aime pas parce qu'ils brident nos instincts, parce qu'ils sont en première ligne dans le maintien de l'ordre, mais qui sont indispensables au bon fonctionnement d'une nation policée. Ils sont tellement indispensables qu'ils sont, d'une façon ou d'une autre, investis d'une autorité légale qui leur permet de faire face aux récalcitrants et d'appliquer la loi, les règles, et de se faire respecter. Il y a ceux-là donc. Et puis il y a une catégorie de gens qu'on oublie, qui ne sont investis d'aucune autorité, qui font leur taf consciencieusement mais discrètement, parce qu'il est honteux : ceux qui lavent la merde des autres, qui maintiennent le monde propre. Ce sont eux, en fait, quand j'y pense bien, qui sont en première ligne, sans épée et sans bouclier, dans le combat contre les incivilités, et qui mesurent le degré de civilisation d'un peuple : les gens chargés de l'entretien de nos rues, de nos bureaux, de nos immeubles, de nos transports en commun, de nos foyers. Ils torchent la merde de tous les trous-du-culs du monde, pour qu'on puisse respirer normalement quand on est dans la rue, au travail, dans notre cage d'escalier, chez nous. Alors ça paraît con à dire, mais j'avais envie de leur rendre un petit hommage ici, quelques lignes, une fois, quelque part. Je ne peux pas leur décerner la Légion d'Honneur, sans ça je le ferais. Mais je peux leur offrir quelques minutes. Ça m'est venu quand je suis rentré chez moi ce soir, et que j'ai vu plein de gros mollards dégouliner sur la porte en métal de l'ascenseur de mon immeuble. Les crachats étaient frais, encore mousseux : selon mon petit doigt, qui a été légiste à la Police de Miami, la propreté avait été assassinée il y a tout juste une demi-heure. Après un premier mouvement de dégoût, de répugnance même, et une envie violente de frapper le mec qui a fait ça, de lui mettre le nez dedans, je n'ai pas pu m'empêcher de me mettre à la place de la personne qui devra laver ça. Pas longtemps hein, juste deux secondes. Oui non parce que parce que ça m'a fait trop mal au coeur, juste de me mettre à sa place deux secondes. Alors j'ai eu envie que vous puissiez vous mettre à sa place aussi, deux secondes. J'ai eu envie d'écrire ces quelques lignes. Parce que peut-être qu'un jour vous avez eu l'idée, vous aussi, de cracher votre " mollard " sur telle porte d'ascenseur, un jour où vous étiez énervé, fatigué, blasé, ou vous aviez envie de vous défouler. Tout vous faisait chier, alors vous avez eu envie de chier sur tout. J'ai déjà eu cette envie. J'ai déjà été con moi-même. J'ai déjà jeté des papiers par terre, des chewing-gum, avec l'insouciance joyeuse du jeunot qui croit que les carottes poussent dans les supermarchés, toutes seules, et que les détritus en tous genres qu'on balance par terre s'autodétruisent tous seuls aussi. Mais en fait non. Il y a des gens derrière, qui travaillent en silence, et qui les plantent, les carottes, et il y a des gens qui font que le monde tourne proprement, à défaut de tourner rond, pour mon plus grand bonheur, quoi que j'en dise. Parce que la vie, elle n'est déjà pas drôle. Alors si en plus on doit vivre nos drames personnels avec de la merde sous les pieds, des chewing-gums collés aux jeans, et le nez dans le fion les uns des autres, c'est juste plus la peine. Les gens de l'entretien, les femmes de ménage, les éboueurs, les gardiens d'immeuble, ils ne font pas des tafs à proprement parler drôles. Je ne pense pas qu'ils les aient choisis : on ne part pas au front, en première ligne, comme jadis les Noirs dans l'armée US, par vocation. Le plus souvent, la vie, les déterminismes sociaux, culturels, des difficultés économiques, le besoin de nourrir une famille, de se nourrir soi-même, en travaillant, les ont amenés là. Le sujet est d'autant plus délicat pour moi que ma mère est gardienne, et femme de ménage. Pour l'avoir souvent entendue me raconter ses journées, harassée, usée par le comportement des gens, et pour l'avoir parfois remplacée ou aidée dans son service de gardienne, et avoir été astreint un temps à l'entretien de son immeuble, je peux vous dire que le comportement qu'on a par rapport à l'hygiène dans les lieux de vie en commun n'est pas neutre. C'est là, quand on lave la merde des autres, qu'on mesure le degré de de maturité et de civilisation d'une société : à la capacité que les gens ont à contracter leur sphincter, à ne pas se déverser comme des bébés. Parce qu'une société humaine, c'est comme un gosse : on voit qu'il a grandi quand il est propre. J'ai pu mesurer le degré de propreté dans un des quartiers les plus riches de Paris. Eh bien je peux vous dire qu'il n'est pas hyper élevé, et même qu'il s'abaisse insidieusement, chaque jour, principalement sous l'effet de la nouvelle génération qui arrive. Simplement les gens riches ont les moyens de payer beaucoup de chargés d'entretien pour leur torcher le derrière : alors ça fait illusion, tout a l'air clean. Et on se dit : " Merde, les gens sont bien éduqués ici ! " En fait c'est des conneries : l'argent ne blanchit pas que la peau, il lave la merde aussi. Dans les quartiers pauvres, il n'y a pas de fric, alors ça ne trompe pas. On voit direct que les gens sont crades. Mais en fait, riches, pauvres, ça compte, ok, mais au fond, tout ça tient à nous : à l'idée qu'on se fait de notre dignité commune, et à notre degré de maturité. Au départ, la propreté n'obéit pas à des déterminismes économiques, sociaux ou géographiques : elle ne dépend que de notre comportement. Les espaces de vie commune sont nos couches, dans les deux sens du mot " couche " : la société naît et vit dedans. Elle évolue dedans. Elle se déverse aussi dedans. Les maintenir propres, ou du moins ne pas les crader volontairement, c'est prouver qu'on a dépassé le stade sadique-anal : qu'on n'a pas besoin de pousser sa crotte sur autrui pour montrer qu'on existe. On vit tous en société. On joue tous dans la même cour, sur le même terrain, et pour que ça tourne, il faut qu'on soit à peu près tous d'accord sur les règles. Sans ça on finit par plus s'entendre, et par se bastonner. C'est la loi du plus fort. Alors certains me diront : " Aucun souci, le plus fort, c'est moi. " L'histoire a malheureusement donné raison à Hobbes : " Il y a toujours plus fort que soi ". Non, vraiment, si on veut jouer ensemble, et prendre du plaisir au jeu, il nous faut des règles. Alors parodiant les joueurs échecs, j'ai envie de dire que la première règle de la vie en société, c'est : " Crader n'est pas jouer. " Quand on respecte les gens chargés de l'entretien, on se débrouille pour qu'ils n'aient que la poussière à nettoyer. Parce que rien que la poussière, dans une ville comme Paris, c'est déjà pénible, et ÉNORME, la poussière ! Imaginez : un grain de poussière par personne, sachant qu'on est dix millions. C'est une montagne qu'on soulève tous les jours ! Et eux sont chargés de la réduire à néant. Je dis la poussière. J'aurais pu ajouter les feuilles mortes, les cheveux : tout ce qui tombe par terre par la force des choses. Ça fait des tonnes de trucs. Additionnez encore ce qui tombe de nos poches sans qu'on s'en rende compte. Vous voyez, la merde, elle grandit toute seule. C'est comme le café Maxwell : " C'est pas la peine d'en rajouter. " Autrui est un miroir. En montrant aux gens de l'entretien qu'on n'est pas des cochons, c'est à nous-mêmes qu'on le montre. Chaque fois que vous serez tentés de jeter un truc par terre, demandez-vous si vous le feriez devant la personne chargée de ramasser, surtout si cette personne était votre mère, votre père, votre conjoint ou finalement vous-mêmes. Si la réponse est non, et que vous le faites quand même, alors c'est qu'en plus d'être un porc, vous êtes un lâche : vous profitez de l'absence et du besoin de se nourrir de quelqu'un pour lui chier dessus. Vous faites ça, comment dire, un peu comme vous foutriez un doigt dans le cul d'un mec endormi en vous branlant devant un miroir, juste pour vous défouler, parce que la porte est fermée à clé. Et dans ce cas, vous pouvez légitimement vous attendre à ce qu'un jour, quelqu'un vous fourre son doigt bien profondément dans le vôtre de cul, en retour, juste pour se défouler. Eh bien oui, puisque vous avez fixé la règle au préalable, et créé la jurisprudence. Vous serez le Président-Fondateur de la République des Trous-du-Culs, L'Idole, façon Verlaine et Rimbaud ! À moins que vous ne préfériez vous en tenir au : " Crader n'est pas jouer ! " Et troquer la jurisprudence pour de la simple prudence, et même, allez, pourquoi pas, de la délicatesse et du savoir-vivre ! Parce que oui, tout ce qu'on jette par terre ou dégrade dans notre environnement, papiers, mégots, fil dentaire, tickets de métro, prospectus, tags ou crachats sur les murs, parce que " des gens sont payés pour laver ", c'est sur leur visage, sur leur âme, quelque part, qu'on le jette. Ils rentrent avec en fin de journée. Vous avez alourdi leur charge de travail en salissant l'espace. Vous les avez agressés et offensés alors qu'ils ne vous ont rien fait. Parce qu'ils ne sont pas payés pour laver vos névroses, ni pour essuyer votre mauvaise humeur, vos conflits intérieurs, vos colères. Ils ne sont pas des psys pas chers, ou des mamans de substitution chargées de laver vos merdes, de changer vos couches. Ils sont juste payés pour maintenir l'endroit propre et ramasser les innombrables trucs qui tombent ou qu'on fait tomber involontairement. Alors un effort bordel : montrez que votre capacité d'empathie pèse plus que que le grain de poussière que vous soulevez chaque jour en marchant, qu'elle pèse plus que la feuille morte qui tombe de l'arbre. Soyez grands : soyez propres.
Dimanche 4 décembre 2011, 03h46
Un gros brouillon de culture. Mon espèce : nous sommes des hominidés appartenant à l'ordre des primates, derniers représentants de l'espèce homo, autrefois divisée en une quinzaine de branches.
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dimanche 4 décembre 2011
mercredi 23 novembre 2011
Les Pieds Nickés...
Mercredi 23 novembre 2011, 15h57
J'ai trouvé de l'or rouge ! Le pétrole est mon sang. Ma gambette a foré les trottoirs. Le bitume l'a croquée. Traduction : je me suis niqué le pied comme un con avant-hier en voulant éviter une femme alors que j'étais en trottinette. J'ai planté mon orteil sur le sol comme un clou sur ma croix : on m'a crucifié ! Je me suis pris pour Spartacus, protecteur de la veuve et de l'orphelin. Et j'ai fini comme lui. La prochaine fois je heurterai la personne. On partagera les frais, ça me fera moins mal. L'autre amortira ma chute. Et moi j'amortirai la sienne. Ça sera donnant-donnant.
Je pratique le roller et le vélo depuis l'âge de quatre ans. Je suis venu à la trottinette sur le tard, sans trop y croire (venu vraiment je veux dire, parce qu'évidemment j'avais déjà tâté l'engin en maternelle comme tout un chacun). J'y suis venu, disais-je, suite à un problème de selle de vélo et de platine de rollers défaillante (je ne rentre pas dans les détails). Je n'arrivais pas à me résoudre à embarquer dans les wagons à bestiaux de la RATP tous les jours avec les autres veaux, alors après avoir fait quelques essais fructueux sur la trottinette de ma petite sœur, je suis allé chez Déclatecon*, j'ai pris la trottinette modèle Rolls Royce, avec guidon haut et amortisseurs, et je suis parti à l'aventure dans notre bonne ville de Paris.
Et je me suis pris au jeu. Une fois qu'on a pris le coup de main, ou plus exactement le coup de pied, on a l'étrange impression à la fois d'un retour en enfance assez jouissif (il y a un truc enfantin intrinsèque à la patinette, vraiment), et d'un voyage dans le futur, un peu comme si on était sur un overboard à guidon (les fans comprendront). Paris étant une ville faussement plate, puisque placée au centre d'un bassin sédimentaire, il est possible, quand on connaît bien le dédale de ses rues, d'être presque toujours sur des trottoirs en légère pente, et donc de faire un minimum d'efforts. Il n'y a que le vent qui me contrarie encore parfois quand il est contre moi. Donc voilà, la trottinette, c'est super fun, c'est bon pour la santé : en alternant les jambes à l'appui c'est l'équivalent d'une bonne séance de step. Mais par contre, je le constate tous les jours : c'est un vrai défi de rouler en trottinette sur les trottoirs parisiens sans se viander sur un connard de piéton (ma bête noire).
Et je me suis pris au jeu. Une fois qu'on a pris le coup de main, ou plus exactement le coup de pied, on a l'étrange impression à la fois d'un retour en enfance assez jouissif (il y a un truc enfantin intrinsèque à la patinette, vraiment), et d'un voyage dans le futur, un peu comme si on était sur un overboard à guidon (les fans comprendront). Paris étant une ville faussement plate, puisque placée au centre d'un bassin sédimentaire, il est possible, quand on connaît bien le dédale de ses rues, d'être presque toujours sur des trottoirs en légère pente, et donc de faire un minimum d'efforts. Il n'y a que le vent qui me contrarie encore parfois quand il est contre moi. Donc voilà, la trottinette, c'est super fun, c'est bon pour la santé : en alternant les jambes à l'appui c'est l'équivalent d'une bonne séance de step. Mais par contre, je le constate tous les jours : c'est un vrai défi de rouler en trottinette sur les trottoirs parisiens sans se viander sur un connard de piéton (ma bête noire).
Les gens marchent n'importe comment dans la rue. Je n'y avais jamais prêté attention avant. Mais maintenant que les trottoirs sont devenus une sorte de piste de Formule 1 pour moi (vroum vroum !), la marche oscillante de mes imbéciles de concitoyens me saute à la gueule chaque fois que j'ai un trajet à faire. Certains marchent en zigzag, en balançant leurs bras, façon marche militaire, et occupent de l'espace pour trois. C'est le défilé du 14 juillet : l'armée de réserve est de sortie ! D'autres les écartent franchement, comme s'ils faisaient l'avion. Ce genre d'individu peut obstruer jusqu'à cinq mètres de trottoir seul : prodige anatomique ! Cherchant à contourner l'obstacle, je me demande souvent : " Mais comment un mec seul peut occuper tant de place ?... " J'observe sa morphologie, intrigué. Au bout de deux minutes, un épis se forme sur mes cheveux. Je perds patience. J'ai envie de hurler : " Tu auras beau les écarter encore, tu ne t'envoleras pas ! " Les gens qui promènent leurs chiens sont des calamités : toujours, Médor décide de quitter papa pour aller poser son gendarme à l'autre bout du trottoir quand j'arrive, lancé à toute blinde. Il me regarde, tend sa laisse comme un cordon de sécurité en travers de ma route. Il a posé son barrage. Trop tard pour freiner ! J'ai trois secondes pour éviter le choc. Il me regarde, semble demander : " Quelque chose à déclarer ? Ouaf ? ". Il plie ses pattes arrières, commence à pousser sa crotte. Je me déporte affolé vers la droite, la gauche, inutilement. Je me dis : " putain de clebs de merde ! " avant de me prendre le guidon dans la laisse et de faire tomber tout le monde. Le plus souvent, les maîtres m'avaient vu arriver. Mais ils s'en foutent. Dans leurs petites têtes de débiles, Toutou a la priorité sur tout le monde : l'univers doit s'incliner devant Rex et sa crotte. C'est comme ça. À Paris, la majorité des passants forme une armée d'imbéciles, d'éclopés, de borgnes, d'aveugles. La rue est une piste de bowling. L'humain oscille comme une quille. Il cherche sa boule. J'arrive. Je les vois de loin. Ils se déportent, irrésistiblement, vers la droite, la gauche. C'est comme un jeu vidéo. Je n'ai qu'une vie. Je dois tous les éviter. Pour ne pas les heurter, je me déporte en sens inverse. Gagné ? Non. C'est juste un sursaut. Au tableau suivant, les gens sont des porcs. Ils jettent leurs mégots, leurs mouchoirs, crachent quand je passe. " Oh ! Il pleut ! " Non. Mémé a juste décidé d'arroser son pétunia sur son balcon. Elle a la main lourde, le noie sous cent cinquante litres d'eau. La connerie déborde, et tout me coule dessus. Le monde est une poubelle. Je suis la voiture balais. Je déboule dans une descente. Encore une foule hostile. Rimbaud les a vus : " c'est le naufrage... je surgis, grondant comme un chat giflé, ouvrant lentement mes omoplates, ô rage ! " Ils sont trop nombreux !! Mon pantalon " bouffe à mes reins boursoufflés. " Je roule, zigzaguant au milieu des idiots : ils sont toujours munis d’œillères. Leur trajectoire est incertaine. Tous ralentissent, accélèrent, s'arrêtent, puis repartent vite, comme des fourmis dans une fourmilière. Je rêve d'être un géant, et de les écraser d'un coup de botte. Soudain, je ne sais pourquoi, sorti de cette masse frétillante, un quidam se jette sur moi, comme un con. On m'agresse ! Je bascule alors vers la route, ultime voie de sécurité pour éviter le crash, ou j'active le freinage d'urgence : je m'écrase sur une voiture stationnée, une cabine téléphonique ou un poteau. Parfois j'ai l'impression qu'ils le font exprès, pour me faire chier ou pour tester mes réflexes. J'ai souvent envie de m'arrêter, de revenir sur mes pas et de demander : " Mais pourquoi tu as fait ça ? C'était pour me faire chier, hein ? ".
Mais en fait non. Il n'y a rien de personnel. Le comportement pédestre des gens obéit juste à un ensemble de règles fixes assez simples à définir. Et mes voyages en trottinette ont été l'occasion de les recenser. D'abord, dans le cas des piétons, crainte et prudence ne sont pas toujours synonymes de sûreté. Au contraire même. Les gens peureux ont tendance à se déporter vers moi quand ils me voient arriver de loin. Ils sont comme aimantés. Quand ils m'ont repéré, je vois leur visage se crisper, leurs yeux s'emplir d'effroi. Ils rentrent leurs épaules, s'arc-boutent, paniquent, tournent un peu en rond comme des poules et finissent par venir vers... moi !!!! C'est un des trucs les plus perturbants à gérer les premiers temps. Au début je me disais que c'était parce que je suis un mec irrésistible : c'est l'effet Axe, j'attire les foules. En fait non. C'est juste un des effets psychologiques de la peur. Elle attire irrésistiblement les gens vers ce qui la suscite. Les gens ont peur alors ils nous fixent du regard. Or (c'est une règle de base) on a tendance à foncer vers ce qu'on regarde. En réalité, pour éviter un obstacle, il faut regarder à côté. Mais pour ça faut en être détaché, et donc pas avoir peur, et pour pas avoir peur faut avoir confiance dans autrui, et en soi, dans ses capacités de résistances... ce qui n'est pas le cas des peureux dont je parle... La peur attire et attache : avis aux victimes !
À force de rouler sur les trottoirs, on s'aperçoit qu'il y a des " réflexes-types " aussi, propres aux différentes catégories sociales ou aux différentes classes d'âge. Les femmes de moins de trente-cinq ans, par exemple, s'efforcent d'aligner leur démarche sur le déhanché chaloupé d'un mannequin-type qui les nargue sur le podium de leur Surmoi. Leur esprit est comme la ville : un labyrinthe immense dans lequel elles se cherchent. Alors qu'elles se rêvent uniques, toutes leurs routes mènent vers des Lieux Communs affligeants, desservis par les médias, télé, ciné, web & Co. L'opinion qu'elles ont d'elles-mêmes se situe au croisement de l'affection de papa, des piques lancées par maman, du désir sexuel de leurs mecs, des regards jugeants ou envieux de leurs copines, Caroline, Anne, Christelle. Leur nombril est un rond-point, bordélique et bondé. Leur amour-propre est proportionnellement inverse à leur tour de taille, cette ceinture périphérique de leur vie. Et toujours ce putain de mannequin, sur le podium de leur Surmoi ! Alors dans le miroir de la vie, deux choix s'offrent à elles. Elles sont soit elles-mêmes un mannequin qu'on a malencontreusement oublié de repérer à la sortie d'un supermarché, et chaque sortie doit être l'occasion de mettre fin à cet effroyable malentendu : un défilé, dont elles sont la star. Soit elles sont complexées à mort, et dans ce cas elles dressent la tête, serrent les dents et s'accrochent à l'idée d'un régime et d'opérations de chirurgie esthétique dont elles rêvent et auxquels elles ne se soumettront le plus souvent jamais, préférant passer leurs complexes et leurs nerfs sur les pauvres types qui auront le malheur de s'amouracher d'elles. Leur égo est un carrosse. Elles sont toutes des princesses. Habillées classes, elles passent, comme la mode. La ville est un corps dont elles sont le coeur. Tout leur être dit : " Paris, je t'aime ! " Leurs talons battent la chamade : tum, tum, tum, tum. Leur itinéraire oscille comme la courbe d'un électrocardiogramme qui pousse vers les vitrines de fringues à la mode et plus généralement tout ce qui brille, bijouteries et tutti quanti. Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! - le dernier Chanel ! Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip ! Le génie français... c'est Dior. Vous objectez : Descartes ? Oui, mais de vœux : le mien c'est " J'achète, donc je suis. " (Du verbe suivre.) Leur monde n'est pas le mien. Mais nos chemins se croisent. Leurs trajets sont des courbes, qui oscillent, des zigzags permanents. Elles se déportent irrésistiblement depuis le milieu du trottoir jusqu'aux montres, et avancent de vitrine en vitrine, un peu comme les Hypostomus plecostomus, ces poissons qui nagent collés avec leur bouche-ventouse au fond du bocal pour aspirer la merde, sauf que le fond du bocal de ces femmes, c'est les vitres des présentoirs des magasins, et que la merde, c'est toutes les saloperies qu'on s'efforce de leur vendre sur le dos de leurs complexes ou de leur vanité.
À l'opposé, quand elles ne paniquent pas, les mères de famille de plus de quarante-cinq ans ont une démarche plus rectiligne et discrète que la moyenne. Elles sont usées. Leur corps et leur coeur sont brisés. Ex-potentielles petites princesses, elles sont devenues les boniches mariées d'un gros loser. Elles n'espèrent plus rien de la vie. Rien ne les distrait. Anonymes et grises, elles filent droit, tête basse : elles avancent, comme de vieilles locomotives à vapeur lancées sur les rails de la fatalité. Proxima estación : la Lumière blanche, au bout du tunnel. Les mecs seuls en costard c'est pareil, l'émotion en moins et l'ambition en plus. Ils marchent droit, dans le rang. Tu sens qu'ils sont fiers d'eux : rapides, déterminés, la tête haute, culs serrés, de vraies flèches, rien à dire. Ils roulent à plus de trois mille euros par mois, lancés à fond sur deux rails de coke, et foncent vers leurs cibles : brainstorming, benchmarking, audit, international trou-du-cul. Pour eux, la vie se résume à un ensemble de chiffres qui défilent sur leur pupille, façon Terminator. Si le gérant de l'hôtel qui passe devant leur chambre leur demande : " Hé, mec, qu'est-ce que c'est que cette odeur ? ça pue le rêve crevé ! " Ils répondent, aussi sec : " F-u-c-k y-o-u... " Leurs noms de code sont cousus sur leurs costards : Calvin Klein, Burberry, Dolce and Gabbana, Emporio Armani, La Martina. Leurs valeurs sont cotées en bourse. Ils valent le prix de leurs fringues. Leurs meilleurs potes vivent en afterwork et en happy hours. C'est la génération qui cause franglish : elle brille, brille ! Ils ont tous la même odeur, conçue dans les labos de cosmétique et fabriquée en Chine. Cadres, banquiers, journalistes, jeunes consultants, PDG de boîtes, publicitaires, juristes, architectes, commerciaux, employés d'ONG surpayés qui ont les pauvres comme fonds de commerce, filles ou fils à papa, nappies, golden boys dont les dents rayent le plancher, employés du staff d'un abruti de politique rêvant d'un poste ministériel, jeunes ambitieux, c'est Bel-Ami cloné et produit en série : ils sont des milliers. La journée, ils font la gueule, ou prennent la pause. En soirée, ils boivent et dansent, ou prennent la pause. La nuit, ils sourient, et vivent sur leurs photos numériques, sourire " fossette ", sur facebouc : quels lovers !... Beaux gosses aux cheveux gominés, c'est la génération Bac + 5, au garde-à-vous, rasée de près, en uniforme. Leurs cravates sont des cordes de pendus dont ils serrent eux-mêmes le nœud. On a les mêmes en version fille, épilées de près, en tailleur, sûres d'elles. Ce genre d'animal, ça n'a pas vraiment de genre, juste un sexe... que ça vous met, bien profond ! Ils rêvent grand loft, belle pouf : ce sont les sous-officiers de l'armée de tueurs qui gagnent la guerre financière et sociale. Ce sont eux, les " gens sérieux " dont nous parlait le Petit Prince, version 2.0. Ils font la gueule, n'ont pas le temps ! pas le temps ! Mais n'allez pas le leur reprocher, bordel : ils ont des RESPONSABLITÉS ! et vendraient leur cul pour en avoir davantage. Ils sont bien dans le monde tel qu'il est, et vont au charbon tous les matins pour le faire tourner. Ils lèvent la tête quand ils marchent, pour voir à l'international : la France, c'est dépassé. Il faut ouvrir les frontières : Ibiza, Barcelone, New-York, LA, le Proche-Orient. À leurs yeux, les Français moyens forment un magma répugnant, une forme sous-race. Leur passe-temps est de nous vendre de la merde, des crédits, des opinions, de l'émotion, des réformes, des images. Ce sont eux qui nous le font, notre beau petit monde de merde. Ils sont les maîtres de l'univers : ils filent droit, marchent vite, ne dévieraient pas de leur route pour tout l'or du monde. Et quelque part c'est tant mieux : ça leur fait au moins une qualité à mes yeux. Car la règle d'or, quand on est en trottinette, est la suivante : " Un bon piéton est un piéton qui suit un itinéraire régulier. "
À l'opposé, quand elles ne paniquent pas, les mères de famille de plus de quarante-cinq ans ont une démarche plus rectiligne et discrète que la moyenne. Elles sont usées. Leur corps et leur coeur sont brisés. Ex-potentielles petites princesses, elles sont devenues les boniches mariées d'un gros loser. Elles n'espèrent plus rien de la vie. Rien ne les distrait. Anonymes et grises, elles filent droit, tête basse : elles avancent, comme de vieilles locomotives à vapeur lancées sur les rails de la fatalité. Proxima estación : la Lumière blanche, au bout du tunnel. Les mecs seuls en costard c'est pareil, l'émotion en moins et l'ambition en plus. Ils marchent droit, dans le rang. Tu sens qu'ils sont fiers d'eux : rapides, déterminés, la tête haute, culs serrés, de vraies flèches, rien à dire. Ils roulent à plus de trois mille euros par mois, lancés à fond sur deux rails de coke, et foncent vers leurs cibles : brainstorming, benchmarking, audit, international trou-du-cul. Pour eux, la vie se résume à un ensemble de chiffres qui défilent sur leur pupille, façon Terminator. Si le gérant de l'hôtel qui passe devant leur chambre leur demande : " Hé, mec, qu'est-ce que c'est que cette odeur ? ça pue le rêve crevé ! " Ils répondent, aussi sec : " F-u-c-k y-o-u... " Leurs noms de code sont cousus sur leurs costards : Calvin Klein, Burberry, Dolce and Gabbana, Emporio Armani, La Martina. Leurs valeurs sont cotées en bourse. Ils valent le prix de leurs fringues. Leurs meilleurs potes vivent en afterwork et en happy hours. C'est la génération qui cause franglish : elle brille, brille ! Ils ont tous la même odeur, conçue dans les labos de cosmétique et fabriquée en Chine. Cadres, banquiers, journalistes, jeunes consultants, PDG de boîtes, publicitaires, juristes, architectes, commerciaux, employés d'ONG surpayés qui ont les pauvres comme fonds de commerce, filles ou fils à papa, nappies, golden boys dont les dents rayent le plancher, employés du staff d'un abruti de politique rêvant d'un poste ministériel, jeunes ambitieux, c'est Bel-Ami cloné et produit en série : ils sont des milliers. La journée, ils font la gueule, ou prennent la pause. En soirée, ils boivent et dansent, ou prennent la pause. La nuit, ils sourient, et vivent sur leurs photos numériques, sourire " fossette ", sur facebouc : quels lovers !... Beaux gosses aux cheveux gominés, c'est la génération Bac + 5, au garde-à-vous, rasée de près, en uniforme. Leurs cravates sont des cordes de pendus dont ils serrent eux-mêmes le nœud. On a les mêmes en version fille, épilées de près, en tailleur, sûres d'elles. Ce genre d'animal, ça n'a pas vraiment de genre, juste un sexe... que ça vous met, bien profond ! Ils rêvent grand loft, belle pouf : ce sont les sous-officiers de l'armée de tueurs qui gagnent la guerre financière et sociale. Ce sont eux, les " gens sérieux " dont nous parlait le Petit Prince, version 2.0. Ils font la gueule, n'ont pas le temps ! pas le temps ! Mais n'allez pas le leur reprocher, bordel : ils ont des RESPONSABLITÉS ! et vendraient leur cul pour en avoir davantage. Ils sont bien dans le monde tel qu'il est, et vont au charbon tous les matins pour le faire tourner. Ils lèvent la tête quand ils marchent, pour voir à l'international : la France, c'est dépassé. Il faut ouvrir les frontières : Ibiza, Barcelone, New-York, LA, le Proche-Orient. À leurs yeux, les Français moyens forment un magma répugnant, une forme sous-race. Leur passe-temps est de nous vendre de la merde, des crédits, des opinions, de l'émotion, des réformes, des images. Ce sont eux qui nous le font, notre beau petit monde de merde. Ils sont les maîtres de l'univers : ils filent droit, marchent vite, ne dévieraient pas de leur route pour tout l'or du monde. Et quelque part c'est tant mieux : ça leur fait au moins une qualité à mes yeux. Car la règle d'or, quand on est en trottinette, est la suivante : " Un bon piéton est un piéton qui suit un itinéraire régulier. "
À ce titre, certaines catégories de piétons sont congénitalement chiantes. Les touristes, par exemple, sont un vrai problème. Ils marchent en troupeau, tooouuuuut doucement, la bouche ouverte, l'air con, regardent le ciel ou par terre, mais jamais devant eux. On les reconnaît de loin à leurs fringues de mauvais goût, coupe et couleurs dignes des costumes fluorescents des agents de la voirie des autoroutes de France. Ils forment des groupes compacts et amorphes. De vrais beaufs. Comme ils reluquent les monuments, ils sont susceptibles de s'arrêter à tout moment, de s'immobiliser d'un coup, net, pour pointer un drapeau ou une putain de gargouille du doigt (qu'ils me foutent dans l’œil par la même occasion) en gueulant un truc incompréhensible, du genre : " Российская Федерация !! " Ils photographient le truc, se grattent le nez, parlent entre eux, et reprennent leur marche désorganisée trèèèèèès lentement, façon pachydermes.
Les groupes de jeunes boutonneux sont chiants aussi, parce qu'ils vivent entre eux, fermés au monde : ils sont dans leur petit microcosme hermétique, ne voient rien, n'entendent rien. Ils " kiffent leur race ", LOL, se fendent la poire, MDR, PTDR, draguent en se regardant dans le blanc des yeux, tapotent des textos : " trop mortel sa race ", " truc de ouf " , " sur la vie d'ma mère ". Et vous, sur votre trottinette ? Vous " kiffez " beaucoup moins. Un groupe de d'jeuns ! Vous ralentissez. Les filles ne vous voient pas : elles ont rabattu leurs mèches sur leurs yeux pour masquer les crevasses des boutons d'acné percés la veille sur leurs fronts. Les garçons sont trop occupés à faire les beaux, les rebelles : ils tirent sur la clope achetée avec le fric de papa à défaut de tirer sur le sein de maman. Pas de doute : aux faciès, vous êtes chez les Réunioniais ! D'un côté, des cratères aussi gros que le Python de la Fournaise. De l'autre, la fumée. Le paysage est pompéien : il faut fuir ! Vous dites : " Pardon ! " Personne ne bouge. Vous posez pied à terre. Les vêtements, les dialogues... Vous êtes devant la ferme célébrité. La porte est fermée. Leurs visages vous disent : " Sonnez. " Mais vous ne savez pas sur quel bouton appuyer : il y en a trop. Les fraisiers ploient sous le poids des fruits rouges. Vous sentez qu'on les a bien fourrés à la crème : c'est un cocktail de rue ! Armé du bâton de Diogène, vous décidez de vous frayer un chemin au milieu du troupeau : " Hola, manants ! Ôtez-vous donc de mon soleil ! ". Personne ne bouge, ou péniblement. Ils ne comprennent pas. Les regards sont vides. Les corps, surchargés d'hormones, sont lourds. C'est l'effet de l'élevage industriel, en batterie : ça meugle, ça s'agite. Pas de berger pour ce troupeau. Il faut leur pardonner. Ils sont tout juste sortis du berceau. Ils ont grandi trop vite. Leurs corps ne leur appartiennent pas encore tout à fait. C'est compliqué de le bouger, de se pousser un peu. Les effluves de biactol les font planer. Ils marchent de travers, en titubant (comme s'ils étaient ivres), les filles bras-dessus bras-dessous, les garçons traînant les pieds, s'efforçant de se donner une contenance en prenant la même pause que leur acteur fétiche (pour la postérité !). Vous tentez de franchir les hauts murs des Troyens. En vain ! Passe-muraille est resté empalé dans la pierre. Les d'jeuns forment un bloc monolithique mouvant imperméable à la réalité, dont chaque particule vous regarde avec l'insolent mépris de la jeunesse qui n'a encore rien fait et se croit capable de tout, alors qu'elle n'est bonne à rien, pas même à bouger un peu son gros cul pour que vous puissiez passer sur le trottoir. En dessous de seize ans c'est pire : ils sont plus agités, et donc l'un d'eux peut émerger du groupe en sautillant d'un coup sans qu'on s'y attende : et là, c'est le drame... Ils sont les quilles mouvantes d'un bowling dont je serais la boule, le but étant d'éviter le strike.
Hors-catégories, les vieux sont ceux qui m'inquiètent le plus : ils cumulent tous les défauts. Et j'ai peur de les casser.
Après il y a les " cerises sur le gâteau ", les options qu'on peut ajouter aux différentes catégories énumérées précédemment. Il y a, par exemple, les gens qui lisent (de plus en plus rares). Ou bien ceux qui tapotent sur leur téléphone portable en marchant (de plus en plus nombreux). Ces piétons à options sont fournis sans GPS et sans airbags : tête baissée sur leurs papiers ou leurs écrans, ils sont les capitaines d'un sous-marins à la dérive. Pas de radar, leur Pariscope est obstrué par les Algues de Geek. La ville est un marais opaque. Ils avancent à l'aveuglette, en tâtonnant, mais sans canne blanche. Quand ils sont plusieurs, ils forment des troupes d'aveugles. Vous avez repéré ces soldats Kamikazes. Ils foncent sur vous comme sur un porte-avion de la US Marine. Vous esquivez, et identifiez l'ennemi. Nos d'jeuns sont ravagés par cette cécité d'un genre nouveau. Et vous, sur votre trottinette, vous bénéficiez du tarif groupe. Pour venir à leur aide, Bill Gates et Steve Jobs ont repris le flambeau de Louis Braille. Les chiens-guides, pour nos non-voyants, s'appellent Blackberries ou I-Pod. Le problème, c'est que comme à chaque fois, c'est le chien qui promène le maître. Alors il parsème son chemin de pipi et de crottes. Il lui chie dans les pieds. L'autre glisse dessus. Et c'est vous qui casquez. Résultat : il faut sortir la corne de brume et gueuler fort pour qu'ils lèvent la tête afin d'éviter le naufrage.
Avec le temps j'ai appris à identifier les réflexes des gens. Mais au fond la règle c'est que personne ne voit personne (c'est très instructif humainement), et qu'il faut donc être en alerte tout le temps.
Quant aux urgences (puisqu'au départ j'étais parti sur mon pied niqué), plus jamais ça. Je suis arrivé à 20h30 à Cochin : la salle d'attente était pleine, une vraie cour des Miracles : des clodos couchés dans les coins dont l'odeur était insoutenable, et qui grognaient, des bourges énervés qui partaient au bout d'une heure en insultant le mec à l'accueil et en disant " c'est un scandale ! ", des gamins malades, africains en majorité, des Roumains, des femmes enceintes, des Polacks qui comprenaient rien à ce qu'on leur disait, des maris de femmes enceintes, une famille de manouche, le mec de l'accueil, con comme un balai à chiottes (mais ça doit rendre con, ce métier de merde), et MOI, malheureux moi..., avec mon pauvre bouquin à la main, mon pied niqué, entrant dans la Nuit sans le savoir. Et pour diriger ce Radeau de la Méduse : deux médecins de garde, et une armée d'infirmiers totalement inutiles et désœuvrés. J'ai attendu cinq heures pour cinq minutes de consultation, on m'a trimbalé de service en service, de salle en salle. Et il paraît que c'était un " bon jour " !! Le médecin de garde courait dans tous les sens, j'entendais les diagnostiques dans les couloirs : stase aux intestins, côte cassée, crise d'épilepsie, etc. Je suis rentré à deux heures et demi du matin complètement vidé, plus par l'épreuve des urgences que par mon accident lui-même... et sans transports en commun, évidemment.
Enfin voilà. Maintenant je suis immobilisé pour deux semaines. Et puis surtout j'ai un doigt de pied violet. Alors j'envisage de faire une expo payante : Orteil - œuvre d'art surréaliste (2011).
Vendredi 3 décembre 2011, 04h58
jeudi 22 septembre 2011
Messieurs les gouvernants : « Un crédit vous engage et doit être remboursé »
Mercredi 22 septembre, 22h08
CHÔMAGE, PRÉCARITÉ, FIN DE LA CROISSANCE, DETTE, RECAPITALISATION DES BANQUES, FAILLITE DES BANQUES, DES ÉTATS, CRISES SYSTÉMIQUE GLOBALE, FIN DU CAPITALISME, IMPLOSION DE L'EURO, FIN DE L'EUROPE.
C'est la fin du monde ! Le système va imploser ! Le plouc moyen se chie dans le froc chaque fois qu'il regarde le journal télévisé. Quid de notre petit confort ? De l'avenir de nos enfants ? Comment va-t-on faire pour acheter le prochain i-pod ? Payer notre abonnement Internet ? Pour le chauffage l'hiver ? L'essence, les assurances, les factures, la mutuelle, les lunettes, les dents ? Finis les pulls en Cachemire ? Les fringues de marque ? Qui paiera ? La merde... On nous parle d'économie comme de la météo : et il fait froid. Temps de merde sur l'Occident. Nous sommes les jouets d'un système qui nous échappe, et qu'on finance. La vilaine crise est là, sortie de nulle part, de partout : tous coupables, la France vivait au-dessus de ses moyens, la faute à Pierre, Paul, Jacques, aux Chinois, au FMI, aux étrangers, aux Conti, à Sarko, à Strauss-Khan, à vous, à moi, à lui (à lui surtout). Demain, un cyclone financier arrive à l'ouest et va vous emporter : veuillez fermer vos fenêtres et serrer les fesses. Les Indiens font des Tata, les Chinetocs se fendent la poire. Oui, ok, bon, mais... Quelque chose m'échappe dans l'actualité, et me laisse un goût étrange dans la bouche : amère, mais pas comme les oranges. Quelque chose comme un goût de merde, un genre de sentiment de foutage de gueule généralisé, qu'on nous prend pour des cons : moi ! un con ! Vous ! Non ! Tous ces chiffres, ces milliards, tous les soirs, qui virevoltent, au vingt heures, pendant la grande messe, comme la fumée d'encens des églises, et moi, ivre des vapeurs, du vin du calice. Je titube, je tombe. Ma tête raisonne en touchant le plancher : No Futur. Et puis je me relève, assommé. Je repense à mon métier de merde, au monde. Je me rechie dans le froc : ça pue. Alors en bon petit plouc que je suis, je m'assieds derrière mon clavier et je tapote sur mon blog de merde, tout énervé. Voici comment la chose se présente (c'est décousu, attention) :
Le 9 juin 2009, Bernard Madoff a été condamné à cent cinquante ans de prison pour escroquerie financière à grande échelle (je sais, ça n'a rien à voir en apparence, mais en fait si, il faut me suivre jusqu'au bout). Le 5 octobre 2010, Jérôme Kerviel a été condamné à cinq ans de prison et 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts pour « faux, usage de faux, abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système informatique » (non, il n'a pas tué le Christ, juste baisé sa banque). Vous le constatez comme moi, les sanctions qu'on inflige aux petits enculés qui essayent de baiser les riches ou les banques sont à la hauteur de leur faute. Cent cinquante ans de prison, quatre milliards d'euros : ils ont du avoir mal au cul quand c'est tombé. Ils l'ont eue bien profonde. Et bah ils l'ont cherché. Et ils peuvent s'estimer heureux qu'on ne les fouette pas en place publique. C'est vrai, bordel, c'est important de protéger les riches et les banques. On déconne pas avec ça.
Depuis le 12 mai 2010, les publicitaires ont l'obligation de préciser sous les offres de financement à crédit qu'« un crédit vous engage et doit être remboursé ». Sans déconner... Moi je croyais qu'on me filait les tunes et qu'après, tchao la compagnie ! Bah non. Tout individu contractant un crédit et qui serait dans l'incapacité de le rembourser s'expose à des conséquences fâcheuses : lettres désagréables (pour vous rappeler que vous devez de l'argent, au cas où vous l'auriez oublié), menaces, coups de fils (avec ton de voix qui déconne pas), lettres désagréables avec AR (on vous demande un autographe, vous êtes la star du jour !), autres menaces, autres coups de fils désagréables, nouveau crédit pour rembourser le premier, et puis encore un (parce que jamais deux sans trois), rebelote, huissiers, saisie des biens, saisies sur salaire, dépression, taux d'intérêts exponentiels, esclavage perpétuel, divorce, expulsion, la rue, la merde, la mort, sociale d'abord, puis physique finalement, parce que vivre dans la rue est nuisible pour la santé et affecte fortement votre espérance de vie, et puis refaire surface pour payer des intérêts : quel intérêt ?
Jusque là, je dis : pourquoi pas ? Allez, de toutes façons c'est un monde de merde, l'argent est roi, Madoff a payé, Kerviel aussi, il y a des lois, on est en démocratie, alors pourquoi pas ? Et puis un mec qui prend un crédit revolving, à 20%, finalement, c'est bien fait pour sa gueule. Il faut être con quelque part pour prendre un crédit à 20%, non ? Alors c'est bien fait pour leur gueule. Voilà. Et puis on s'en branle. Surtout qu'en général ce sont des pauvres, alors si on les ruine, finalement, ils restent pauvres, rien ne change vraiment pour eux, sauf que leurs gentils organismes de crédit leur auront permis de rêver trois mois, et qu'après, une fois surendettés, ils se rendent utiles : ils donnent leur petite contribution au système bancaire, à coups de taux d'intérêts, ad vitam eternam. Ils font tourner l'économie, avec leurs petits moyens. Et comme ils ont été bien humiliés au préalable, ils seront plus calmes : ils n'auront ni l'envie ni les moyens de se syndicaliser. Et puis ils feront moins de gosses, ça fera de la place, et moins de pauvres sur terre.
Oui, ok, jusque là, pourquoi pas ? Pourquoi pas... Mais ! Car il y a un " mais ! ", évidemment... Oui parce que...
Ok, je comprends qu'on traîne les escrocs et arnaqueurs qui essayent de baiser les banques et les riches devant des tribunaux, qu'on les livre à la vindicte populaire, qu'on les enferme et qu'on les dépouille à vie. Ce sont des salauds : Kerviel, Madoff, au trou. Je comprends qu'on démonte les abrutis qui prennent des crédits revolving à 20% jusqu'à les noyer dans le caniveau, à détruire leur famille et à hypothéquer leur avenir. Ce sont des cons irresponsables, et souvent des pauvres de surcroît : alors poubelle. Mais dans ma grande ouverture d'esprit, je ne comprends pas qu'on ne réserve pas le même sort aux chefs d’État qui contractent des emprunts d’État délirants sur le dos du contribuable, ruinant les finances de leurs pays, obligeant à la liquidation du patrimoine public, plombant la croissance pour des décennies, alourdissant le poids de la fiscalité, hypothéquant le service publique, nuisant au bien commun. Ils font les cons, le peuple paye, personne dit rien. Bizarre, non ? Parce que, non, sans déconner, ces emprunts délirants, ces dettes publiques, elles ne sont pas tombées du ciel, c'est pas Bibi qui les a faites (et pourtant il en fait des choses Bibi !). Ce sont des hommes, faits de chaire et de sang, comme vous et moi, l'irresponsabilité en plus. Et là, c'est double faute. Parce que moi (oui, MOI), quand j'ai envie de m'acheter un truc, et que j'envisage de prendre un crédit, si j'ai pas les moyens, bah je le fais pas. Logique ! Ou alors je cherche à monter en grade pour avoir un meilleur salaire. Et si (allez, soyons fous !), si dans ma grande connerie je décidais de prendre un prêt impossible à rembourser, je n'engagerais que ma responsabilité, à moi : pas celle de mes 65 millions de voisins. Le retour de bâton, bien lourd, ne se ferait que sur moi, et j'assumerais : pas le choix, hein ! Dura lex sed lex.
Et si (allez, soyons encore plus fous !), si j'étais à la tête d'une association de quartier, et si je contractais des emprunts impossibles à rembourser pour acheter du matos classe à l'assoce sans consulter personne, je comprendrais que les autres membres de l'association n'aient pas envie de payer la note. Je comprendrais même qu'ils soient bien énervés contre moi, qu'ils envisagent de me casser ma petite gueule de connard. Moi, à leur place, je ferais pareil. Oui mais alors : alors pourquoi cette logique se défait-elle lorsqu'on monte à l'échelle d'une collectivité locale, d'une région ou d'un État ? Parce qu'il y avait quand même des gens aux manettes, qui les ont faits, ces budgets déficitaires de merde, non ? Et qui ont contracté ces dettes, vendu les entreprises publiques qui faisaient des bénéfices, sources de revenus (donc de financements) pour l’État (et donc pour la collectivité). Il y a quand même bien quelqu'un qui les a contractés, ces emprunts grecs à 20%, non ? La faute, dans ce cas, n'est pas diluée dans la masse qu'on met à contribution me semble-t-il. Elle est même, au contraire multipliée par le nombre de contribuables dont on engage la responsabilité et qu'on endette indirectement sur des décennies. Eh bien oui ! Parce que nos hommes politiques jouent aux con, mais en engageant la responsabilité d'un peuple tout entier (eux exceptés). Pourquoi ne traîne-t-on pas nos hommes politiques (dûment identifiés) responsables de la dette publique devant les tribunaux, comme on le fait pour des particuliers, des dirigeants d'associations ou des chefs d'entreprises ? Comme on le fait pour le traders qui bossent pour des banques ! Pour des financiers qui baisent des riches ! Les peuples sont-ils moins importants que les banquiers ou les riches ? Pourquoi les hommes politiques sont les seuls à avoir le droit d'ignorer qu' « un crédit vous engage et doit être remboursé », sans être inquiétés ? Tous les pauvres cons ruinés par des crédits revolving à 20% auraient sûrement plein de trucs super intéressants à nous dire là-dessus. Moi-même, contribuable de classe moyenne surtaxé, j'ai ma petite idée.
Alors oui, le plouc moyen se chie dans le froc chaque fois qu'il regarde le journal télévisé, et moi, avec ma petite gueule de Che Guevara, assis sur ma chaise en bois, je me prends souvent à rêver d'une série de grands procès visant à établir les responsabilités de nos dirigeants dans nos dettes publiques, de condamnations à la Kerviel et à la Madoff pour escroquerie d'Etat (ça les ferait réfléchir, ces connards pédants en costard), pour mauvaise gestion des comptes et du patrimoine publique, pour abus de confiance (parce qu'on vote pour eux, ils sont dépositaires de notre confiance quand même, faut pas déconner !). À l'image du principe « pollueur, payeur », je rêve qu'on impose le principe de « l'emprunteur, payeur » : mais pas la collectivité ! Il n'y a pas 65 millions de signatures sur les papiers contractant les dettes de l’État français. Il n'y a pas la mienne surtout (et pourtant je paye) ! Il n'y en a qu'une ou deux. Que celui qui signe le papier engageant un peuple au remboursement ait des comptes à rendre. Je rêve qu'une faute individuelle ne soit pas à l'origine d'une punition collective : que celui qui s'engage au nom de la collectivité, et qui engage la collectivité, soit responsable devant elle, et devant les créanciers.
CHÔMAGE, PRÉCARITÉ, FIN DE LA CROISSANCE, DETTE, RECAPITALISATION DES BANQUES, FAILLITE DES BANQUES, DES ÉTATS, CRISES SYSTÉMIQUE GLOBALE, FIN DU CAPITALISME, IMPLOSION DE L'EURO, FIN DE L'EUROPE.
C'est la fin du monde ! Le système va imploser ! Le plouc moyen se chie dans le froc chaque fois qu'il regarde le journal télévisé. Quid de notre petit confort ? De l'avenir de nos enfants ? Comment va-t-on faire pour acheter le prochain i-pod ? Payer notre abonnement Internet ? Pour le chauffage l'hiver ? L'essence, les assurances, les factures, la mutuelle, les lunettes, les dents ? Finis les pulls en Cachemire ? Les fringues de marque ? Qui paiera ? La merde... On nous parle d'économie comme de la météo : et il fait froid. Temps de merde sur l'Occident. Nous sommes les jouets d'un système qui nous échappe, et qu'on finance. La vilaine crise est là, sortie de nulle part, de partout : tous coupables, la France vivait au-dessus de ses moyens, la faute à Pierre, Paul, Jacques, aux Chinois, au FMI, aux étrangers, aux Conti, à Sarko, à Strauss-Khan, à vous, à moi, à lui (à lui surtout). Demain, un cyclone financier arrive à l'ouest et va vous emporter : veuillez fermer vos fenêtres et serrer les fesses. Les Indiens font des Tata, les Chinetocs se fendent la poire. Oui, ok, bon, mais... Quelque chose m'échappe dans l'actualité, et me laisse un goût étrange dans la bouche : amère, mais pas comme les oranges. Quelque chose comme un goût de merde, un genre de sentiment de foutage de gueule généralisé, qu'on nous prend pour des cons : moi ! un con ! Vous ! Non ! Tous ces chiffres, ces milliards, tous les soirs, qui virevoltent, au vingt heures, pendant la grande messe, comme la fumée d'encens des églises, et moi, ivre des vapeurs, du vin du calice. Je titube, je tombe. Ma tête raisonne en touchant le plancher : No Futur. Et puis je me relève, assommé. Je repense à mon métier de merde, au monde. Je me rechie dans le froc : ça pue. Alors en bon petit plouc que je suis, je m'assieds derrière mon clavier et je tapote sur mon blog de merde, tout énervé. Voici comment la chose se présente (c'est décousu, attention) :
Le 9 juin 2009, Bernard Madoff a été condamné à cent cinquante ans de prison pour escroquerie financière à grande échelle (je sais, ça n'a rien à voir en apparence, mais en fait si, il faut me suivre jusqu'au bout). Le 5 octobre 2010, Jérôme Kerviel a été condamné à cinq ans de prison et 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts pour « faux, usage de faux, abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système informatique » (non, il n'a pas tué le Christ, juste baisé sa banque). Vous le constatez comme moi, les sanctions qu'on inflige aux petits enculés qui essayent de baiser les riches ou les banques sont à la hauteur de leur faute. Cent cinquante ans de prison, quatre milliards d'euros : ils ont du avoir mal au cul quand c'est tombé. Ils l'ont eue bien profonde. Et bah ils l'ont cherché. Et ils peuvent s'estimer heureux qu'on ne les fouette pas en place publique. C'est vrai, bordel, c'est important de protéger les riches et les banques. On déconne pas avec ça.
Depuis le 12 mai 2010, les publicitaires ont l'obligation de préciser sous les offres de financement à crédit qu'« un crédit vous engage et doit être remboursé ». Sans déconner... Moi je croyais qu'on me filait les tunes et qu'après, tchao la compagnie ! Bah non. Tout individu contractant un crédit et qui serait dans l'incapacité de le rembourser s'expose à des conséquences fâcheuses : lettres désagréables (pour vous rappeler que vous devez de l'argent, au cas où vous l'auriez oublié), menaces, coups de fils (avec ton de voix qui déconne pas), lettres désagréables avec AR (on vous demande un autographe, vous êtes la star du jour !), autres menaces, autres coups de fils désagréables, nouveau crédit pour rembourser le premier, et puis encore un (parce que jamais deux sans trois), rebelote, huissiers, saisie des biens, saisies sur salaire, dépression, taux d'intérêts exponentiels, esclavage perpétuel, divorce, expulsion, la rue, la merde, la mort, sociale d'abord, puis physique finalement, parce que vivre dans la rue est nuisible pour la santé et affecte fortement votre espérance de vie, et puis refaire surface pour payer des intérêts : quel intérêt ?
Jusque là, je dis : pourquoi pas ? Allez, de toutes façons c'est un monde de merde, l'argent est roi, Madoff a payé, Kerviel aussi, il y a des lois, on est en démocratie, alors pourquoi pas ? Et puis un mec qui prend un crédit revolving, à 20%, finalement, c'est bien fait pour sa gueule. Il faut être con quelque part pour prendre un crédit à 20%, non ? Alors c'est bien fait pour leur gueule. Voilà. Et puis on s'en branle. Surtout qu'en général ce sont des pauvres, alors si on les ruine, finalement, ils restent pauvres, rien ne change vraiment pour eux, sauf que leurs gentils organismes de crédit leur auront permis de rêver trois mois, et qu'après, une fois surendettés, ils se rendent utiles : ils donnent leur petite contribution au système bancaire, à coups de taux d'intérêts, ad vitam eternam. Ils font tourner l'économie, avec leurs petits moyens. Et comme ils ont été bien humiliés au préalable, ils seront plus calmes : ils n'auront ni l'envie ni les moyens de se syndicaliser. Et puis ils feront moins de gosses, ça fera de la place, et moins de pauvres sur terre.
Oui, ok, jusque là, pourquoi pas ? Pourquoi pas... Mais ! Car il y a un " mais ! ", évidemment... Oui parce que...
Ok, je comprends qu'on traîne les escrocs et arnaqueurs qui essayent de baiser les banques et les riches devant des tribunaux, qu'on les livre à la vindicte populaire, qu'on les enferme et qu'on les dépouille à vie. Ce sont des salauds : Kerviel, Madoff, au trou. Je comprends qu'on démonte les abrutis qui prennent des crédits revolving à 20% jusqu'à les noyer dans le caniveau, à détruire leur famille et à hypothéquer leur avenir. Ce sont des cons irresponsables, et souvent des pauvres de surcroît : alors poubelle. Mais dans ma grande ouverture d'esprit, je ne comprends pas qu'on ne réserve pas le même sort aux chefs d’État qui contractent des emprunts d’État délirants sur le dos du contribuable, ruinant les finances de leurs pays, obligeant à la liquidation du patrimoine public, plombant la croissance pour des décennies, alourdissant le poids de la fiscalité, hypothéquant le service publique, nuisant au bien commun. Ils font les cons, le peuple paye, personne dit rien. Bizarre, non ? Parce que, non, sans déconner, ces emprunts délirants, ces dettes publiques, elles ne sont pas tombées du ciel, c'est pas Bibi qui les a faites (et pourtant il en fait des choses Bibi !). Ce sont des hommes, faits de chaire et de sang, comme vous et moi, l'irresponsabilité en plus. Et là, c'est double faute. Parce que moi (oui, MOI), quand j'ai envie de m'acheter un truc, et que j'envisage de prendre un crédit, si j'ai pas les moyens, bah je le fais pas. Logique ! Ou alors je cherche à monter en grade pour avoir un meilleur salaire. Et si (allez, soyons fous !), si dans ma grande connerie je décidais de prendre un prêt impossible à rembourser, je n'engagerais que ma responsabilité, à moi : pas celle de mes 65 millions de voisins. Le retour de bâton, bien lourd, ne se ferait que sur moi, et j'assumerais : pas le choix, hein ! Dura lex sed lex.
Et si (allez, soyons encore plus fous !), si j'étais à la tête d'une association de quartier, et si je contractais des emprunts impossibles à rembourser pour acheter du matos classe à l'assoce sans consulter personne, je comprendrais que les autres membres de l'association n'aient pas envie de payer la note. Je comprendrais même qu'ils soient bien énervés contre moi, qu'ils envisagent de me casser ma petite gueule de connard. Moi, à leur place, je ferais pareil. Oui mais alors : alors pourquoi cette logique se défait-elle lorsqu'on monte à l'échelle d'une collectivité locale, d'une région ou d'un État ? Parce qu'il y avait quand même des gens aux manettes, qui les ont faits, ces budgets déficitaires de merde, non ? Et qui ont contracté ces dettes, vendu les entreprises publiques qui faisaient des bénéfices, sources de revenus (donc de financements) pour l’État (et donc pour la collectivité). Il y a quand même bien quelqu'un qui les a contractés, ces emprunts grecs à 20%, non ? La faute, dans ce cas, n'est pas diluée dans la masse qu'on met à contribution me semble-t-il. Elle est même, au contraire multipliée par le nombre de contribuables dont on engage la responsabilité et qu'on endette indirectement sur des décennies. Eh bien oui ! Parce que nos hommes politiques jouent aux con, mais en engageant la responsabilité d'un peuple tout entier (eux exceptés). Pourquoi ne traîne-t-on pas nos hommes politiques (dûment identifiés) responsables de la dette publique devant les tribunaux, comme on le fait pour des particuliers, des dirigeants d'associations ou des chefs d'entreprises ? Comme on le fait pour le traders qui bossent pour des banques ! Pour des financiers qui baisent des riches ! Les peuples sont-ils moins importants que les banquiers ou les riches ? Pourquoi les hommes politiques sont les seuls à avoir le droit d'ignorer qu' « un crédit vous engage et doit être remboursé », sans être inquiétés ? Tous les pauvres cons ruinés par des crédits revolving à 20% auraient sûrement plein de trucs super intéressants à nous dire là-dessus. Moi-même, contribuable de classe moyenne surtaxé, j'ai ma petite idée.
Alors oui, le plouc moyen se chie dans le froc chaque fois qu'il regarde le journal télévisé, et moi, avec ma petite gueule de Che Guevara, assis sur ma chaise en bois, je me prends souvent à rêver d'une série de grands procès visant à établir les responsabilités de nos dirigeants dans nos dettes publiques, de condamnations à la Kerviel et à la Madoff pour escroquerie d'Etat (ça les ferait réfléchir, ces connards pédants en costard), pour mauvaise gestion des comptes et du patrimoine publique, pour abus de confiance (parce qu'on vote pour eux, ils sont dépositaires de notre confiance quand même, faut pas déconner !). À l'image du principe « pollueur, payeur », je rêve qu'on impose le principe de « l'emprunteur, payeur » : mais pas la collectivité ! Il n'y a pas 65 millions de signatures sur les papiers contractant les dettes de l’État français. Il n'y a pas la mienne surtout (et pourtant je paye) ! Il n'y en a qu'une ou deux. Que celui qui signe le papier engageant un peuple au remboursement ait des comptes à rendre. Je rêve qu'une faute individuelle ne soit pas à l'origine d'une punition collective : que celui qui s'engage au nom de la collectivité, et qui engage la collectivité, soit responsable devant elle, et devant les créanciers.
mercredi 21 septembre 2011
Ins kino...
Mercredi 22 septembre, 23h53
Après avoir sauvé Willy, il faut sauver les banques. Les banques, c'est le soldat Ryan de notre génération.
dimanche 18 septembre 2011
Vive le vent...
Dimanche 18 septembre 2011, 23h35
Depuis un an et demi, je me force à prendre l'air au minimum deux heures par jour. L'idée m'a été inspirée par mon père maçon qui travaillait souvent en extérieur et arborait une mine superbe toute l'année, hiver compris, et par deux amis venus faire du tourisme à Paname qui ont réussi à prendre des couleurs en février à force de se balader du matin au soir dans les rues. Et ça marche : depuis que je fais ça, on me croit revenu des îles de janvier à décembre. J'ai retrouvé mon teint du Sud, je dors mieux et je suis plus zen. Afin de mettre à profit mon temps en extérieur, je lis pour ma thèse ou je redécouvre mes Classiques. Je me cultive, et le soleil aide à la poussée. La capitale est vaste, et mes points de chute varient.
Depuis mon retour de vacances, je vais tous les jours lire sur les murets qui bordent les terrasses ornées de petites pelouses de l'esplanade des Invalides. Je suis perché sur ces petits murs comme un aigle sur sa branche, deux heures. Le lieu présente plusieurs avantages notables : présence de soleil à toute heure du jour, l'inconfort des murets et la sale gueule de la pelouse crottée démotivent tout parasite potentiel de venir envahir mon petit coin, les Invalides sont plus un lieu de passage qu'un lieu où on s'installe. L'endroit n'est pas "in" : pas de commerces, pas de bars. Les grandes pelouses centrales ne sont envahies qu'aux heures les plus chaudes de l'été : on y voit des cerfs-volants, des couples. Le reste de l'année, la terre est trop humide. Des groupes de mecs y jouent au foot ou au rugby le soir. En septembre, quelques faux beaux-gosses de quarante ans lancent encore leur freesby torse-nus pour impressionner les minettes. Mais sur les pelouses latérales : personne, jamais, hormis un vieux qui vient parfois bronzer en slip, quelques clodos et un gros rat.
L'endroit figure bien dans les guides. Mais les touristes s'arrêtent deux minutes montre en main : ils regardent d'un air niais autour d'eux, se demandent ce qu'ils foutent là. Ils reluquent l'esplanade majestueuse, dominée par le grand dôme doré. Ils se grattent le nez, photographient le pont Alexandre III, la Tour Eiffel, l'hôtel des Invalides, le bâtiment d'Air France... oui oui... la gare de RER... allez comprendre... c'est peut-être à cause du drapeau tricolore qui flotte dessus... ils doivent prendre ça pour un bâtiment officiel... Puis ils passent, tête basse, devant moi, et disparaissent dans la grande ville. Un vrai défilé. Les trois quarts se foutent du musée de l'Armée et de la tombe de Napoléon Ier. L'Empereur, tel un épouvantail, veille sur ma tranquillité depuis le fond de son tombeau.
Aujourd'hui, pour la première fois depuis longtemps, j'ai bougé avant la fin de mon temps de cuisson règlementaire. J'étais dans l'intéressante mais ÉNORME préface du roman Les Déracinés de Barrès. Si on avait pris une photo de moi, on aurait eu l'impression que j'étais tip-top : assis sur l'herbe, au soleil, personne pour me faire chier. Oui mais voilà, ce qu'on n'aurait pas vu sur la photo - car c'est traître une photo : c'est muet et figé ! -, c'est qu'il faisait un vent à décorner les bœufs, à encorner les vaches, et à écorner mon livre : ça soufflait bourrasque et coups de fouets, une sorte de vent glacé venu d'on ne sait où, qui vous glace jusqu'à la moelle des os et qui n'arrête pas de souffler. Le soleil qui perçait à travers de gros nuages ne justifiait pas que je sois là à attendre de me chopper une pneumonie en lisant Barrès et en écoutant du Beethoven.
La grande littérature, la musique classique et mon amour du soleil ne justifient pas tout. À force de souffler, Éole a fini par me gonfler façon montgolfière : alors j'ai levé l'ancre, et je suis rentré chez moi en trottinette, poussé par la brise, inaugurer une boîte de gouaches et du papier achetés il n'y a pas huit jours.
Depuis un an et demi, je me force à prendre l'air au minimum deux heures par jour. L'idée m'a été inspirée par mon père maçon qui travaillait souvent en extérieur et arborait une mine superbe toute l'année, hiver compris, et par deux amis venus faire du tourisme à Paname qui ont réussi à prendre des couleurs en février à force de se balader du matin au soir dans les rues. Et ça marche : depuis que je fais ça, on me croit revenu des îles de janvier à décembre. J'ai retrouvé mon teint du Sud, je dors mieux et je suis plus zen. Afin de mettre à profit mon temps en extérieur, je lis pour ma thèse ou je redécouvre mes Classiques. Je me cultive, et le soleil aide à la poussée. La capitale est vaste, et mes points de chute varient.
Depuis mon retour de vacances, je vais tous les jours lire sur les murets qui bordent les terrasses ornées de petites pelouses de l'esplanade des Invalides. Je suis perché sur ces petits murs comme un aigle sur sa branche, deux heures. Le lieu présente plusieurs avantages notables : présence de soleil à toute heure du jour, l'inconfort des murets et la sale gueule de la pelouse crottée démotivent tout parasite potentiel de venir envahir mon petit coin, les Invalides sont plus un lieu de passage qu'un lieu où on s'installe. L'endroit n'est pas "in" : pas de commerces, pas de bars. Les grandes pelouses centrales ne sont envahies qu'aux heures les plus chaudes de l'été : on y voit des cerfs-volants, des couples. Le reste de l'année, la terre est trop humide. Des groupes de mecs y jouent au foot ou au rugby le soir. En septembre, quelques faux beaux-gosses de quarante ans lancent encore leur freesby torse-nus pour impressionner les minettes. Mais sur les pelouses latérales : personne, jamais, hormis un vieux qui vient parfois bronzer en slip, quelques clodos et un gros rat.
L'endroit figure bien dans les guides. Mais les touristes s'arrêtent deux minutes montre en main : ils regardent d'un air niais autour d'eux, se demandent ce qu'ils foutent là. Ils reluquent l'esplanade majestueuse, dominée par le grand dôme doré. Ils se grattent le nez, photographient le pont Alexandre III, la Tour Eiffel, l'hôtel des Invalides, le bâtiment d'Air France... oui oui... la gare de RER... allez comprendre... c'est peut-être à cause du drapeau tricolore qui flotte dessus... ils doivent prendre ça pour un bâtiment officiel... Puis ils passent, tête basse, devant moi, et disparaissent dans la grande ville. Un vrai défilé. Les trois quarts se foutent du musée de l'Armée et de la tombe de Napoléon Ier. L'Empereur, tel un épouvantail, veille sur ma tranquillité depuis le fond de son tombeau.
Aujourd'hui, pour la première fois depuis longtemps, j'ai bougé avant la fin de mon temps de cuisson règlementaire. J'étais dans l'intéressante mais ÉNORME préface du roman Les Déracinés de Barrès. Si on avait pris une photo de moi, on aurait eu l'impression que j'étais tip-top : assis sur l'herbe, au soleil, personne pour me faire chier. Oui mais voilà, ce qu'on n'aurait pas vu sur la photo - car c'est traître une photo : c'est muet et figé ! -, c'est qu'il faisait un vent à décorner les bœufs, à encorner les vaches, et à écorner mon livre : ça soufflait bourrasque et coups de fouets, une sorte de vent glacé venu d'on ne sait où, qui vous glace jusqu'à la moelle des os et qui n'arrête pas de souffler. Le soleil qui perçait à travers de gros nuages ne justifiait pas que je sois là à attendre de me chopper une pneumonie en lisant Barrès et en écoutant du Beethoven.
La grande littérature, la musique classique et mon amour du soleil ne justifient pas tout. À force de souffler, Éole a fini par me gonfler façon montgolfière : alors j'ai levé l'ancre, et je suis rentré chez moi en trottinette, poussé par la brise, inaugurer une boîte de gouaches et du papier achetés il n'y a pas huit jours.
Pot pourri...
Dimanche 18 septembre 2011, 20h20
Il n'est pas nécessaire de lire Hobbes ou quelque autre philosophe européen, ni même de vivre une guerre civile, de voir décapiter un roi, d'ériger une guillotine en place publique ou de faire couler le sang dans les caniveaux pour découvrir que l'homme est un loup pour l'homme. Ce constat, n'importe quel être humain un peu équilibré peut le faire au coin de la rue. En ce qui me concerne, je n'ai même pas eu à passer le pas de la porte. La fin des illusions concernant la nature profonde de l'être humain a commencé chez moi : avec tel membre de ma famille dont je tairai le nom par respect pour moi-même autant que pour lui. Toute la philosophie pessimiste occidentale s'est invitée chez moi à travers un cette personne, qui a essaimé. Véritable Cheval de Troie des Enfers, elle était la personnification du mal : à elle toute seule, la pulsion de mort personnifiée. Le reste du monde était peuplé d'inconnus qui bénéficiaient, dans mon ignorance, de ma bienveillante sympathie : une armée d'amis potentiels, de gens me ressemblant. Parodiant Rimbaud, je pourrais dire que « Je » était Les Autres. Erreur. Chaque personne croisée, au fil de ma vie, m'a forcé à faire le deuil de ces amitiés potentielles. En trente ans, j'ai perdu six milliards d'amis. Aujourd'hui, mon coeur est vêtu de noir, et je suis seul. Dans l'enfance, le monde était bon et fait d'amour, régenté par une autorité cohérente et juste. Le mal était l'exception. Aujourd'hui, l'exception est devenue la règle. La bêtise fait sa loi. Et la courtoisie est morte, quelque part, je ne sais où, dans mon éveil à la réalité. J'en viens même à me demander si elle a véritablement existé comme principe social, hors des rares êtres l'incarnant
Je côtoie péniblement de vils individus, tous les jours, notamment avec mes voisins idiots et bruyants, incapables de se contenir dans leur espace. Ils ne sont que l'archétype, représentant d'un genre humain qui pullule dans nos rues : l'idiot, l'abruti, le bourrin, le boulet, en un mot, le CON (dans le sens péjoratif du terme, évidemment). Parce que ça prend de la place, un con. C'est même à ça qu'on les reconnaît : ça parle fort, ça fait de grands gestes quand ça bouge, quand ça marche dans la rue, ça s'agite, ça écoute son lecteur mp3 à fond dans les espaces confinés, ça ne se pousse jamais sur le trottoir, ça gueule au téléphone, ça claque les portes. Pour compenser le vide assourdissant qui résonne dans son cerveau creux, le con monte le volume, se berce d'un ramdam permanent. Incapable de se sentir vivre par lui-même, de créer ou de s'élever, il compense par le relâchement de la pensée, qui existe en s'effondrant. Stupido ergo sum. Le con s'affirme en parlant mal, en beuglant. Il a la démarche lourde. Le con se réjouit de " foutre le bordel ", d'être " un ouf ". Tout discours un peu raisonné l'ennuie rapidement : son unique neurone surchauffe, et brûle, imprimant un voile vaporeux et opaque à son regard. Le con est ailleurs, n'écoute plus, il a plongé dans le trou noir de son esprit, dans lequel résonne une musique house bas-de-gamme, et il danse. Attention, l'animal est laid intérieurement, mais il n'est pas forcément moche, ou mal habillé. Au contraire. Et c'est trompeur. Il soigne sa présentation parce qu'il existe par postures, comme les affiches publicitaires qui l'ont éduqué et qui lui ont fourni ses modèles. Pour séduire, il prend la pause. Sa vie est une succession d'instants Kodak qui défilent comme dans un mauvais film dont il est le héros. Le con a du mal a appréhender l'humain dans sa plénitude. Autrui est un objet utilitaire, ou une source de distraction. En dehors de cela, il est une gêne, à ignorer. Mais paradoxalement, le con est sociable : la solitude le met face à lui-même, cet abîme, alors il la fuit, et invite sans arrêt d'autres cons. Ils font la fête, " comme des oufs ".
Le jeune est souvent con (parce qu'un poussin sortant de l’œuf, c'est mignon, mais ça a l'air con, et ça piaille). Mais tous les cons ne sont pas jeunes. Le con se décline en tous âges, en toutes tailles, et de toutes les couleurs. La société industrielle le produit en série, à la chaîne, et équipé de haute technologie. Il est l'ambassadeur du vide, partout. Animal social, le con s'étourdit de conversations stériles, qui durent des heures et des heures, sans mener à rien. Il ne supporte pas d'être seul. Face à lui-même, le con est comme un vampire cherchant son reflet dans un miroir qui le lui refuse obstinément. Les yeux de tout être pensant cherchant réellement à communiquer lui font le même effet de miroir : le con se voit dedans, il se cherche, mais ne se trouve définitivement pas. Alors il fuit. Puis, pour être certain qu'il existe, il fait du bruit. Il recommence, encore et encore. Le con se définit par l'espace qu'il occupe, rien d'autre, et qu'il emplit de lui : de vide, mais d'un vide bien lourd, et bruyant.
vendredi 9 septembre 2011
Oh troubles...
Partant d'une blague, ce blog devient quelque chose de réel. L'idée était de toucher à une matière douloureuse : l'espace publique, et la confrontation à l'autre, via les mots. Ecrire. Sans rien écrire de sérieux. Pour ne rien risquer de perdre. Car j'ai peur qu'on me vole mes idées, mes phrases, mes mots. C'est là le TROUBLE DU COMPORTEMENT de votre humble serviteur. Ce que je suis n'est à moi que dans la mesure où je l'écris. " Les mots sont faits de souffle et le souffle de vie." disait Shakespeare. Et les Arabes ont un proverbe qui dit : " Ce que tu écris te ressemble. " Je suis d'accord avec eux. Je vis d'accord avec eux même. Je ne vis que dans cette mesure. Et dans le même temps, ce que j'écris ne m'appartient plus. C'est à la disposition de tous. Les paroles s'envolent. Les écrits restent, oui, mais ils m'échappent, autant qu'ils restent. Ma langue n'est plus dans ma bouche : elle est sur le papier, sur mon écran, sur ceux des autres, ailleurs. Ils peuvent me la voler, se l'approprier. Je suis écartelé, coupé en morceaux, éparpillé aux quatre vents.
Je n'arrive à rien publier donc. Je vis en moi comme dans une prison. J'ai peur de me faire voler ce que j'écris. La question des droits d'auteur, du plagiat, tous ces fantasmes qui ne sont que des prétextes dont s'habillent mes angoisses, bien réelles, elles. Je n'arrive pas à écrire. Le problème, c'est que moins j'y arrive, plus j'en ai envie, une sorte d'envie obsessionnelle : les idées et les mots se bousculent au portillon, c'est l'embouteillage, et moi, je suis là, avec ma vie à la place du mort, loin, bien loin derrière sur la route, et je me demande ce qu'ils foutent devant, pourquoi c'est bouché, pourquoi ça n'avance pas. Alors je klaxonne, je m'énerve, j'entends ma vie qui me passe sous le nez avec des girofards d'ambulance : elle agonise, bip, bip, biiiiiiiiiiiiip. Elle meurt. Et je ne suis même pas à son chevet !
Donc, la seule solution que j'ai trouvée, c'est d'écrire. Mais pour rire. Pas pour de vrai. D'écrire des trucs nuls, minables, que personne ne me volera. Mais écrire, quand même. Parce que ça me fait trop mal de ne pas entendre le bruit du clavier, mes doigts qui dansent sur les touches, moi qui ne danse nulle part, avec personne. Me voilà donc, pour rire. Le problème, c'est qu'on a tôt fait de se justifier, quand on écrit des bêtises. Trois lignes de conneries, et j'explique déjà que je n'écris rien qui vaille pour qu'on ne puisse pas me le voler. Les mots, disait Fernando Pessoa, ont une existence propre, ils sont une matière. Moi, c'est mon seul trésor. Le contact le plus agréable, le plus respectueux, le plus enrichissant que j'ai eu avec des êtres humains, c'est par le biais de livres, par le biais de mots. C'est à travers eux, et d'eux uniquement, que j'ai pris la mesure de la profondeur, de la bonté et de l'intelligence humaine.
Qu'est-ce que c'est que ce blog ? J'écris pour dire que je n'arrive pas à écrire.
C'est aussi bête et ridicule que cela.
Mauvais augure...
Vendredi 9 septembre 2011, 3h17
Aller chez le médecin est toujours une épreuve pour moi. D'avance, je sais que la consultation se clôturera sur une série de troubles du comportement fatigants, répétitifs, usants : dix ans de travaux forcés à casser des cailloux dans la cage aux angoisses m'ont rendu familier de cet autre « Moi » qui se débat comme il peut dans son enfer personnel, mon corps, cette prison, dont il prend le contrôle pour exorciser ses malédictions avec des gestes étranges : sorcier d'un genre nouveau, j'aurai passé la moitié de ma vie à me battre avec mes fantômes, à me laver de la laideur du monde qui m'entoure, de la jalousie, de la haine, de la mesquinerie, seul, toujours désespérément et totalement seul.
Car c'est là l'un des grands objets de mes rituels : me débarrasser des autres. Les tenir à distance, loin de moi. Je me débats sous des vagues violence qui s'abattent sur moi à défaut de s'abattre sur ceux qui les soulèvent : je protège - bien involontairement - ceux qui me qualifient de fou. Parce que je suis un être trop civilisé pour rendre œil pour œil et dent pour dent le mal qu'on me fait, on me dit aliéné ; je suis rayé du bottin mondain, mis à l'index, POINTE DU DOIGT, regardé de travers, effacé de la réalité. Je suis un gentilhomme trop éduqué dans la cage aux fous, et mes camarades de détention ont décidé de me lyncher. Quant à mes amis : au premier trou dans la coque, les rats ont quitté le navire.
Ces derniers jours, j'ai croisé beaucoup de cons, en particulier dans mes démarches en quincaillerie*. Je suis du genre paranoïaque, et je le sais. Je crois voir derrière chaque être humain un ennemi mortel. Je tâche donc de me raisonner, et de ne pas prendre toute réponse bête, toute incompétence flagrante, tout manque de bonne volonté, toute attitude mesquine ou tout regard désagréable contre moi. ça a été très difficile dans les premiers temps, et ça le reste souvent. Les gens bien supposent toujours l'existence chez l'autre d'un être affable, courtois, bien éduqué, et ayant un haut sens du bien commun, à tort, bien évidemment, puisque quatre-vingt dix pourcents des êtres qui nous entourent sont des névrosés narcissiques, des crétins malpolis, sales, limités, mesquins, complexés donc agressifs, manquant totalement de sensibilité, débordant sur l'espace des autres, indifférents, obsédés par leur petite personne, par l'idée de plaire, d'être aimés, ou de baiser, frustrés vides couverts d'un vernis superficiel. Bref : les cons se donnent une contenance, et ils vivent. Ils sont partout autour de nous.
La grande ville, dans laquelle on croise en permanence des inconnus à qui on n'aura pas de comptes à rendre, parce que la probabilité de les recroiser est quasi nulle, est leur royaume. La grande ville débride la connerie : les cons se sentent pousser des ailes à l'abri de l'anonymat, au milieu de la foule. Ils sont malpolis, polluent, insultent, bousculent, nuisent, fraudent, regardent avec insistance, lorgnent, reluquent, tripotent, trépignent, enfreignent la loi. Ils se sentent comme des cochons dans une immense mer de fange, et se roulent allègrement dedans, à l'abri de tout jugement et du bâton du fermier. Au jour d'aujourd'hui, je ne me demande plus : « pourquoi les cons sont cons ? ». Et surtout, SURTOUT, je ne cherche plus la réponse en moi. Non, ça n'est pas de ma faute. Il y a des cons dans l'absolu, et ceux qui le sont avec moi le sont à plus forte raison, étant donné que je suis quelqu'un de bien. Si je commence à me pencher sur chaque con pour comprendre pourquoi il est con, j'y passe ET j'y perds ma vie. Je préfère passer mon tour. La médiocrité et la petitesse des autres leur appartiennent, je leur laisse ça volontiers sans m'en charger le dos.
Après mon rendez-vous chez le médecin, j'ai décidé de rentrer à pied pour me détendre. Tout ne s'est pas exactement déroulé comme prévu : un bus fou a essayé de m'écraser, volontairement : il a accéléré en me dévisageant pendant que je marchais tranquillement sur les clous. Après cet épisode fâcheux, j'ai décidé de basculer vers les bords de Seine. En général, l'eau me détend, et il y a moins de monde. Je suis tombé sur un cygne blanc mort et à moitié en décomposition dans l'écluse qui relie le fleuve aux canaux de Bastille. Plus loin, sur les quais, j'ai croisé un pigeon mort sans tête. Je ne suis pas superstitieux, mais si je l'étais, j'aurais dit que tout ceci était de mauvais augure. Ma promenade m'a abattu. Les bords de Seine étaient imbibés d'urine, couverts de déchets, hantés de gens louches. L'épisode du bus m'avait déjà rendu mélancolique : le reste du chemin a fini de détacher la colique de mon humeur mêlant... solitude et envie d'ailleurs : pof, une grosse bouse, c'est le monde, là, face à moi. La laideur me fait l'effet d'un crachat sur le visage. J'ai fini ma promenade dans une ville grise, sous un ciel gris, triste, comme ma journée, et comme moi.
* ça doit les attirer : le con est bricoleur, il doit avoir la fibre quincaillère, et finit vendeur ou caissier chez Leroy-Merlin ou au BHV.
Aller chez le médecin est toujours une épreuve pour moi. D'avance, je sais que la consultation se clôturera sur une série de troubles du comportement fatigants, répétitifs, usants : dix ans de travaux forcés à casser des cailloux dans la cage aux angoisses m'ont rendu familier de cet autre « Moi » qui se débat comme il peut dans son enfer personnel, mon corps, cette prison, dont il prend le contrôle pour exorciser ses malédictions avec des gestes étranges : sorcier d'un genre nouveau, j'aurai passé la moitié de ma vie à me battre avec mes fantômes, à me laver de la laideur du monde qui m'entoure, de la jalousie, de la haine, de la mesquinerie, seul, toujours désespérément et totalement seul.
Car c'est là l'un des grands objets de mes rituels : me débarrasser des autres. Les tenir à distance, loin de moi. Je me débats sous des vagues violence qui s'abattent sur moi à défaut de s'abattre sur ceux qui les soulèvent : je protège - bien involontairement - ceux qui me qualifient de fou. Parce que je suis un être trop civilisé pour rendre œil pour œil et dent pour dent le mal qu'on me fait, on me dit aliéné ; je suis
Ces derniers jours, j'ai croisé beaucoup de cons, en particulier dans mes démarches en quincaillerie*. Je suis du genre paranoïaque, et je le sais. Je crois voir derrière chaque être humain un ennemi mortel. Je tâche donc de me raisonner, et de ne pas prendre toute réponse bête, toute incompétence flagrante, tout manque de bonne volonté, toute attitude mesquine ou tout regard désagréable contre moi. ça a été très difficile dans les premiers temps, et ça le reste souvent. Les gens bien supposent toujours l'existence chez l'autre d'un être affable, courtois, bien éduqué, et ayant un haut sens du bien commun, à tort, bien évidemment, puisque quatre-vingt dix pourcents des êtres qui nous entourent sont des névrosés narcissiques, des crétins malpolis, sales, limités, mesquins, complexés donc agressifs, manquant totalement de sensibilité, débordant sur l'espace des autres, indifférents, obsédés par leur petite personne, par l'idée de plaire, d'être aimés, ou de baiser, frustrés vides couverts d'un vernis superficiel. Bref : les cons se donnent une contenance, et ils vivent. Ils sont partout autour de nous.
La grande ville, dans laquelle on croise en permanence des inconnus à qui on n'aura pas de comptes à rendre, parce que la probabilité de les recroiser est quasi nulle, est leur royaume. La grande ville débride la connerie : les cons se sentent pousser des ailes à l'abri de l'anonymat, au milieu de la foule. Ils sont malpolis, polluent, insultent, bousculent, nuisent, fraudent, regardent avec insistance, lorgnent, reluquent, tripotent, trépignent, enfreignent la loi. Ils se sentent comme des cochons dans une immense mer de fange, et se roulent allègrement dedans, à l'abri de tout jugement et du bâton du fermier. Au jour d'aujourd'hui, je ne me demande plus : « pourquoi les cons sont cons ? ». Et surtout, SURTOUT, je ne cherche plus la réponse en moi. Non, ça n'est pas de ma faute. Il y a des cons dans l'absolu, et ceux qui le sont avec moi le sont à plus forte raison, étant donné que je suis quelqu'un de bien. Si je commence à me pencher sur chaque con pour comprendre pourquoi il est con, j'y passe ET j'y perds ma vie. Je préfère passer mon tour. La médiocrité et la petitesse des autres leur appartiennent, je leur laisse ça volontiers sans m'en charger le dos.
Après mon rendez-vous chez le médecin, j'ai décidé de rentrer à pied pour me détendre. Tout ne s'est pas exactement déroulé comme prévu : un bus fou a essayé de m'écraser, volontairement : il a accéléré en me dévisageant pendant que je marchais tranquillement sur les clous. Après cet épisode fâcheux, j'ai décidé de basculer vers les bords de Seine. En général, l'eau me détend, et il y a moins de monde. Je suis tombé sur un cygne blanc mort et à moitié en décomposition dans l'écluse qui relie le fleuve aux canaux de Bastille. Plus loin, sur les quais, j'ai croisé un pigeon mort sans tête. Je ne suis pas superstitieux, mais si je l'étais, j'aurais dit que tout ceci était de mauvais augure. Ma promenade m'a abattu. Les bords de Seine étaient imbibés d'urine, couverts de déchets, hantés de gens louches. L'épisode du bus m'avait déjà rendu mélancolique : le reste du chemin a fini de détacher la colique de mon humeur mêlant... solitude et envie d'ailleurs : pof, une grosse bouse, c'est le monde, là, face à moi. La laideur me fait l'effet d'un crachat sur le visage. J'ai fini ma promenade dans une ville grise, sous un ciel gris, triste, comme ma journée, et comme moi.
* ça doit les attirer : le con est bricoleur, il doit avoir la fibre quincaillère, et finit vendeur ou caissier chez Leroy-Merlin ou au BHV.
mardi 6 septembre 2011
Ma petite VDM perso...
Aujourd'hui, une voisine nous a demandé de garder son poisson rouge pendant les vacances. Le bocal profond le mettait théoriquement à l'abri de notre chat qui a une sainte horreur de se mouiller les pattes. Mais notre chat est malin. Il a contourné le problème. Pour pouvoir attraper le poisson sans se mouiller, il a bu toute l'eau du bocal. VDM.
dimanche 4 septembre 2011
Boîte de nuit, boîte d'allumettes...
- Allumette!
- Gratte-moi.
- Ah non ! Toute allumette, une fois grattée, devient une allumeuse en puissance.
Morose...
Dimanche 4 septembre, 5h09
Je me sens morose. J'ai besoin d'un mot rose, BISOU, AMOUR, pour chasser mon blues.
Des outils et des hommes...
Une civilisation tient à ses outils, pas aux hommes qui la composent. Sans ses outils, l'homme revient à l'état de barbarie.
Autrefois, les internats. Aujourd'hui, c'est Internet.
Plus une civilisation atteint un degré de complexité élevé, plus les hommes sont dépendants des outils et des technologies qui la structurent. L'effondrement de la maîtrise des outils entraîne un retour à l'âge de pierre.
Les asiles, les internés. Internet, un asile ?
samedi 27 août 2011
« Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. » (Gérard de Nerval.)
Rue de la Vieille-Lanterne, « le coin le
plus sordide qu'il ait pu trouver. » (Baudelaire.)
Le 20 janvier 1855 Gautier et Du Camp le voient à la Revue de Paris, il n'a pas de paletot. Le 23 janvier il remet à Paul Lacroix la liste de ses oeuvres complètes. Le 24 janvier il se présente chez Méry, absent, il passe la soirée chez Béatrix Person, en compagnie de Georges Bell et de Philibet Adebrand mais, semble-t-il, termine la nuit au " violon ".
Jean Richier, extrait de la notice de La Pléiade.
« Ne m'attends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche. » (Gérard de Nerval.)
Epitaphe
Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.
Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.
C'était la Mort ! Alors il la pria d'attendre
Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet ;
Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.
Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.
Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,
Il s'en alla disant : " Pourquoi suis-je venu ? "
jeudi 25 août 2011
Jules Smirgel, peintre réaliste...
J'ai croisé la psychanalyste Jeanine Chasseguet-Smirgel toute ma vie. Nous vivions dans le même immeuble. Mais je n'ai appris à la connaître que deux ans avant sa mort, lorsque j'ai commencé à travailler pour elle. C'est à cette occasion que j'ai découvert les toiles de son père, emmagasinées dans son immense appartement sombre et baroque, entre ses livres et ses œuvres d'art. Tout ce que je sais de son père, le peintre Jules Smirgel, je le tiens directement d'elle, de nos conversations tard le soir dans sa bibliothèque. Voilà ce qui explique que je présente le père en commençant par parler de la fille.
Cette petite notice, que j'ai publiée sous une forme plus impersonnelle, succincte et sobre dans une encyclopédie en ligne, vise donc à présenter le peintre réaliste Jules Smirgel, et à remettre son œuvre à l'ordre du jour. Tous deux sont restés intimistes par la force des choses, parce que gardés comme un trésor dans la mémoire et le patrimoine familiaux.
" Les mots sont faits de souffle " disait Shakespeare. Je souffle un peu alors... fffff... quelques mots pour soulever la poussière qui est tombée sur cet homme et son œuvre.
Qui était-il ? Jules Smirgel (ou Smirguel, l'orthographe varie), était un peintre réaliste français du XXe siècle, originaire d'Europe centrale. Ne le cherchez dans les moteurs de recherche. L'homme était discret de son vivant, il l'est resté dans la mort. Sa visibilité webiatique est nulle. J'ignore quand il est né, ou quand il est mort. J'ignore même où il a vécu exactement avant d'atterrir à Paris. Je sais juste que Jules S. avait de la famille en Europe centrale. Sa fille m'a souvent parlé de ses vacances là-bas. Marié, ingénieur de formation, je sais qu'il était très attentif à l'éducation de ses enfants. Et surtout, je sais que Jules S. était de confession juive; juif non-pratiquant et volontairement assimilé. Sa fille a été éduquée mordicus hors de la religion juive, et n'a redécouvert sa judaïcité qu'à l'âge adulte.
Sa vague judaïcité, ce détail ! n'a son importance - capitale ! - que parce que Jules S. est né dans la première moitié du XXe siècle. Être juif a conditionné son destin pour l'essentiel. Il a du enjamber la Shoah. Une immense partie de sa famille a été décimée pendant la Seconde Guerre mondiale, victime des déportations, de la misère et des persécutions antisémites.
Jules S. lui-même n'a pas échappé à la grande tempête. Il a été déraciné, aspiré par le bas, par ses racines. Il s'est redécouvert totalement juif, et a perdu son emploi d'ingénieur avec les mesures antisémites des années 1940. Il est alors entré alors dans la clandestinité avec sa famille. Sa fille Jeannine évoquait en souriant, bien des décennies plus tard, les contrôles auxquels son père et elle ont échappé alors qu'elle était enfant (dans les grande gares parisiennes notamment), la complaisance de tel policier français qui lui avait sauvé la vie, etc. Souvenirs d'enfance...
Les difficultés économiques et sa situation précaire ont poussé Jules S. à se rabattre sur ses pinceaux. Brossant auparavant les toiles par amour du geste, il a intensifié son activité de peintre et a commencé à vendre ses toiles pour subvenir aux besoins de sa famille. L'amateur timide s'est lancé. On ose tout en période de crise ou de disette ! On se découvre un culot incroyable ! La misère et la faim font naître des vocations et révèlent les artistes. Après la guerre, le talent aidant, il a poursuivi ses activités artistiques et s'est professionnalisé de fait.
Je ne sais rien de la formation artistique de Jules S., mais si je j'analyse bien ce que je sais de lui, il est probable qu'il ait appris à peindre en autodidacte, étant préalablement féru d'art. Après tout, l'école n'est-elle pas plus ou moins la même pour tous ? Renoir disait : " On apprend à peindre dans les musées. "
La plupart de toiles de Jules Smirgel sont des paysages ou des natures mortes, peintes à l'huile. Il a laissé des portraits, parfois incrustés hors échelle dans ses natures mortes, ce qui donne un trait tout à fait bizarre et naïf à ces toiles, mais vraiment charmant et osé, quelque chose comme du Dali dans une nature morte classique. Variant les techniques, il a aussi laissé quelques dessins surprenants au fusain, parfois en grands formats, et quelques ébauches au crayon sur toile blanche qui nous donnent des indices sur sa façon très géométrique de " composer ". Un grand nombre de ses toiles ont été exposées aux Salons de la Peinture Réaliste pendant les années 1970 (j'ai vu personnellement les feuilles d'exposition de ses toiles pour celui de 1978). J'ignore les dimensions de l'ensemble de l'oeuvre : combien de pièces en tout ? Qui les possède ? Les dates de la première et de la dernière composition ? Tout renseignement est le bienvenu. Ses tableaux sont systématiquement signés, et l'autographe est facilement lisible.
Sa fille avait conservé un grand nombre de ses tableaux, qui avaient, en plus de leur valeur marchande, une grande valeur sentimentale à ses yeux. Elle avait probablement hérité de lui son amour du beau et des tableaux. Son appartement en était plein, et sa vaste bibliothèque recélait de bouquins incroyables sur la peinture et les peintres. On peut par ailleurs supposer que l'activité artistique de son père l'avait inspirée ou influencée dans ses recherches psychanalytiques sur l'activité symbolique dans la pensée, l'art et la créativité (Pour une psychanalyse de l'art et de la créativité, Payot-Rivages, Paris, 1971 ; Éthique et esthéthique de la perversion, Seyssel, Champ Vallon, 1984 ; Creativity and perversion. London 1984 et Le corps comme miroir du monde, PUF, 2003)
Cette petite notice, que j'ai publiée sous une forme plus impersonnelle, succincte et sobre dans une encyclopédie en ligne, vise donc à présenter le peintre réaliste Jules Smirgel, et à remettre son œuvre à l'ordre du jour. Tous deux sont restés intimistes par la force des choses, parce que gardés comme un trésor dans la mémoire et le patrimoine familiaux.
" Les mots sont faits de souffle " disait Shakespeare. Je souffle un peu alors... fffff... quelques mots pour soulever la poussière qui est tombée sur cet homme et son œuvre.
Qui était-il ? Jules Smirgel (ou Smirguel, l'orthographe varie), était un peintre réaliste français du XXe siècle, originaire d'Europe centrale. Ne le cherchez dans les moteurs de recherche. L'homme était discret de son vivant, il l'est resté dans la mort. Sa visibilité webiatique est nulle. J'ignore quand il est né, ou quand il est mort. J'ignore même où il a vécu exactement avant d'atterrir à Paris. Je sais juste que Jules S. avait de la famille en Europe centrale. Sa fille m'a souvent parlé de ses vacances là-bas. Marié, ingénieur de formation, je sais qu'il était très attentif à l'éducation de ses enfants. Et surtout, je sais que Jules S. était de confession juive; juif non-pratiquant et volontairement assimilé. Sa fille a été éduquée mordicus hors de la religion juive, et n'a redécouvert sa judaïcité qu'à l'âge adulte.
Sa vague judaïcité, ce détail ! n'a son importance - capitale ! - que parce que Jules S. est né dans la première moitié du XXe siècle. Être juif a conditionné son destin pour l'essentiel. Il a du enjamber la Shoah. Une immense partie de sa famille a été décimée pendant la Seconde Guerre mondiale, victime des déportations, de la misère et des persécutions antisémites.
Jules S. lui-même n'a pas échappé à la grande tempête. Il a été déraciné, aspiré par le bas, par ses racines. Il s'est redécouvert totalement juif, et a perdu son emploi d'ingénieur avec les mesures antisémites des années 1940. Il est alors entré alors dans la clandestinité avec sa famille. Sa fille Jeannine évoquait en souriant, bien des décennies plus tard, les contrôles auxquels son père et elle ont échappé alors qu'elle était enfant (dans les grande gares parisiennes notamment), la complaisance de tel policier français qui lui avait sauvé la vie, etc. Souvenirs d'enfance...
Les difficultés économiques et sa situation précaire ont poussé Jules S. à se rabattre sur ses pinceaux. Brossant auparavant les toiles par amour du geste, il a intensifié son activité de peintre et a commencé à vendre ses toiles pour subvenir aux besoins de sa famille. L'amateur timide s'est lancé. On ose tout en période de crise ou de disette ! On se découvre un culot incroyable ! La misère et la faim font naître des vocations et révèlent les artistes. Après la guerre, le talent aidant, il a poursuivi ses activités artistiques et s'est professionnalisé de fait.
Je ne sais rien de la formation artistique de Jules S., mais si je j'analyse bien ce que je sais de lui, il est probable qu'il ait appris à peindre en autodidacte, étant préalablement féru d'art. Après tout, l'école n'est-elle pas plus ou moins la même pour tous ? Renoir disait : " On apprend à peindre dans les musées. "
La plupart de toiles de Jules Smirgel sont des paysages ou des natures mortes, peintes à l'huile. Il a laissé des portraits, parfois incrustés hors échelle dans ses natures mortes, ce qui donne un trait tout à fait bizarre et naïf à ces toiles, mais vraiment charmant et osé, quelque chose comme du Dali dans une nature morte classique. Variant les techniques, il a aussi laissé quelques dessins surprenants au fusain, parfois en grands formats, et quelques ébauches au crayon sur toile blanche qui nous donnent des indices sur sa façon très géométrique de " composer ". Un grand nombre de ses toiles ont été exposées aux Salons de la Peinture Réaliste pendant les années 1970 (j'ai vu personnellement les feuilles d'exposition de ses toiles pour celui de 1978). J'ignore les dimensions de l'ensemble de l'oeuvre : combien de pièces en tout ? Qui les possède ? Les dates de la première et de la dernière composition ? Tout renseignement est le bienvenu. Ses tableaux sont systématiquement signés, et l'autographe est facilement lisible.
Sa fille avait conservé un grand nombre de ses tableaux, qui avaient, en plus de leur valeur marchande, une grande valeur sentimentale à ses yeux. Elle avait probablement hérité de lui son amour du beau et des tableaux. Son appartement en était plein, et sa vaste bibliothèque recélait de bouquins incroyables sur la peinture et les peintres. On peut par ailleurs supposer que l'activité artistique de son père l'avait inspirée ou influencée dans ses recherches psychanalytiques sur l'activité symbolique dans la pensée, l'art et la créativité (Pour une psychanalyse de l'art et de la créativité, Payot-Rivages, Paris, 1971 ; Éthique et esthéthique de la perversion, Seyssel, Champ Vallon, 1984 ; Creativity and perversion. London 1984 et Le corps comme miroir du monde, PUF, 2003)
mercredi 24 août 2011
Cellulairement...
Le mot n'existait pas dans son sens carcéral. Verlaine l'a créé.
Cet adverbe bizarre (de temps et de lieu, dans le cas verlainien) désigne le cadre dans lequel notre Satanique Docteur a écrit son livre. Ce cadre cellulaire, fondamental dans la genèse de l'oeuvre, a imposé une introspection à Verlaine : c'est la fin d'une période de liberté et de vagabondages amoureux et homosexuels pour le Poète Saturnien. C'est aussi la fin de sa fuite désespérée face à ses démons : l'alcool, la chaire, l'homosexualité, la foi qui sauve et condamne. En prison, Verlaine, criminel, usé, agité, abattu, indécis, abandonné, est face à son " pauvre moi-même. "
Cet adverbe bizarre (de temps et de lieu, dans le cas verlainien) désigne le cadre dans lequel notre Satanique Docteur a écrit son livre. Ce cadre cellulaire, fondamental dans la genèse de l'oeuvre, a imposé une introspection à Verlaine : c'est la fin d'une période de liberté et de vagabondages amoureux et homosexuels pour le Poète Saturnien. C'est aussi la fin de sa fuite désespérée face à ses démons : l'alcool, la chaire, l'homosexualité, la foi qui sauve et condamne. En prison, Verlaine, criminel, usé, agité, abattu, indécis, abandonné, est face à son " pauvre moi-même. "
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer,
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?
Ce recueil me tient à coeur. D'abord, parce qu'il est méconnu, très injustement méconnu. Ensuite, parce qu'il est bon. C'est même, de mon point de vue, l'un des meilleurs qu'il m'ait jamais été donné de lire. Enfin, parce qu'il renferme, je crois, une part essentielle de " l'humaine condition ". Nous sommes tous, d'une façon ou d'une autre, prisonniers de quelque chose. C'est là tout l'objet de Cellulairement. Le prologue l'annonce clairement :
[...] ces vers maladifs
Furent faits en prison.
Après l'incident de Bruxelles, l'enfer personnel de Verlaine, que Rimbaud qualifiait déjà de " pitoyable frère " quelques mois auparavant, se matérialise dans les quatre murs de pierre froide des prisons belges. Les oppressions mentales sont devenues physiques. Et les chaînes vont paradoxalement libérer le poète, condamné à mijoter en vase-clos pendant que sa vie finit de s'écrouler sous ses yeux. Sa femme Mathilde obtient le divorce, Rimbaud s'éloigne de lui et " s'ampute définitivement de la poésie ". Sa réputation est ruinée. Le monde des Lettres lui tourne le dos. Assassin, alcoolique, sodomite : Verlaine est devenu un paria. Il hurle son désespoir immense et sa vie déréglée dans ces interminables vers nouveaux de 13 pieds :
Ah ! vraiment c’est triste, ah ! vraiment ça finit trop mal.
Il n’est pas permis d’être à ce point infortuné.
Ah ! vraiment c’est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fané.
Cellulairement est un recueil de poésie écrit clandestinement par le pauvre frère lors de son séjour carcéral en Belgique (1873-1875). Il témoigne d'une crise sans précédent dans la vie du " pauvre Lélian ", alors abandonné de tous :
Berceuse
Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie :
Dormez, tout espoir,
Dormez, toute envie !
Je ne vois plus rien,
Je perds la mémoire
Du mal et du bien...
Ô la triste histoire !
Je suis un berceau
Qu’une main balance
Au creux d’un caveau :
Silence, silence !
Avec les frasques de 1873, la liaison avec Rimbaud et le procès, la carrière littéraire de Verlaine est ruinée. Les Romances sans paroles sont ignorées malgré un service de presse et une diffusion très soignées. L'éditeur exige que la dédicace à Rimbaud soit retirée. Verlaine est alors un proscrit dans les milieux parisiens. Ses derniers amis doivent pendre garde à ne pas citer clairement son nom :
Las ! je suis à l’Index et dans les dédicaces
Me voici Paul V... pur et simple. Les audaces
De mes amis, tant les éditeurs sont des saints,
Doivent éliminer mon nom de leurs desseins
L'isolement... La Belgique carcérale ramène Verlaine à l'essentiel. C'est l'occasion pour le poète de reprendre la plume. Son incarcération est une période prolixe : il écrit plus en quelques mois que dans les deux années précédentes, difficiles, parce que trop agitées. Il en sera gré à son pays d'adoption forcée :
Ô Belgique qui m’as valu ce dur loisir,
Merci ! J’ai pu du moins réfléchir et saisir
Dans le silence doux et blanc de tes cellules
Les raisons qui fuyaient comme des libellules
À travers les roseaux bavards d’un monde vain,
Les raisons de mon être éternel et divin,
Et les étiqueter comme en un beau musée
Dans les cases en fin cristal de ma pensée.
Aux côtés des Amours Jaunes de Corbière, Cellulairement est probablement l'un des meilleurs recueils de poésie de l'histoire de la littérature française (et donc mondiale).Verlaine s'y met en scène. Il est le personnage central d'un drame existentiel déchirant, et pleure : tantôt
Paul, les paupières rougies,
Erre seul aux Pamplemousses.
Tantôt il met un masque, et devient Gaspar Hauser, personnage historique, orphelin errant
frappé par le malheur :
La Chanson de Gaspard Hauser
Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m’ont pas trouvé malin.
À vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes
M’a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m’ont pas trouvé beau.
Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l’étant guère,
J’ai voulu mourir à la guerre :
La mort n’a pas voulu de moi.
Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu’est-ce que je fais en ce monde ?
Ô vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspard !
Puis il devient la voix anonyme et triste des prisonniers, dont il découvre, ahuri, l'univers répétitif et doucement mélancolique :
Autre
La cour se fleurit de souci
Comme le front
De tous ceux-ci
Qui vont en rond
En flageolant sur leur fémur
Débilité
Le long du mur
Fou de clarté.
Tournez, Samsons sans Dalila,
Sans Philistin,
Tournez bien la
Meule au destin.
Vaincu risible de la loi,
Mouds tour à tour
Ton cœur, ta foi
Et ton amour !
Ils vont ! et leurs pauvres souliers
Font un bruit sec,
Humiliés,
La pipe au bec.
Pas un mot ou bien le cachot,
Pas un soupir.
Il fait si chaud
Qu’on croit mourir.
J’en suis de ce cirque effaré,
Soumis d’ailleurs
Et préparé
À tous malheurs.
Et pourquoi si j’ai contristé
Ton vœu têtu,
Société,
Me choierais-tu ?
Allons, frères, bons vieux voleurs,
Doux vagabonds,
Filous en fleurs,
Mes chers, mes bons,
Fumons philosophiquement,
Promenons-nous
Paisiblement :
Rien faire est doux.
Cellulairement est un chef-d’œuvre, un sommet de l'art verlainien. On y trouve les meilleures compositions du poète : son Art poétique, qui commence par son célèbre vers :
De la musique avant toute chose
Mais aussi son Almanach pour l'année passée, sa série de Vieux Coppées blagueurs, dans lesquels le poète raille ses compagnons et se moque de lui-même :
" Tous sont toqués, et moi qui chantais aux temps chauds,
Je danse sur la paille humide des cachots."
La fin du recueil nous amène à ses incroyables Récits diaboliques, sorte de Saison en Enfer en vers relatant sa liaison avec Rimbaud et ses penchants homosexuels :
Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux démons, des satans adolescents,
Au son d’une musique mahométane
Font litière aux Sept Péchés de leurs cinq sens.
C’est la fête aux Sept Péchés : ô qu’elle est belle !
Tous les Désirs rayonnaient en feux brutaux ;
Les Appétits, pages prompts que l’on harcèle,
Promenaient des vins roses dans des cristaux.
On y trouve également ses premiers grands poèmes mystiques et religieux, témoins d'une vie malheureuse, vide de sens, mais avide de Lumière :
Du fond du grabat
As-tu vu l’étoile
Que l’hiver dévoile ?
Comme ton cœur bat,
Comme cette idée,
Regret ou désir,
Ravage à plaisir
Ta tête obsédée,
Pauvre tête en feu,
Pauvre cœur sans dieu !
Puis la rencontre frontale avec Dieu, dans le Final, suite immense de dix sonnets, sorte de retable mystique composé sur le mode du dialogue entre le pêcheur perdu et son Créateur :
J’ai répondu : Seigneur, vous avez dit mon âme.
C’est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas.
Mais vous aimer ! Voyez comme je suis en bas,
Vous dont l’amour toujours monte comme la flamme.
Vous, la source de paix que toute soif réclame,
Hélas ! voyez un peu tous mes tristes combats !
Oserai-je adorer la trace de vos pas,
Sur ces genoux saignants d’un rampement infâme ?
Et pourtant je vous cherche en longs tâtonnements,
Je voudrais que votre ombre au moins vêtît ma honte,
Mais vous n’avez pas d’ombre, ô vous dont l’amour monte,
Ô vous, fontaine calme, amère aux seuls amants
De leur damnation, ô vous, toute lumière,
Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupière !
Les symboles sont omniprésents dans le recueil. Les bruits, les êtres, les ombres se confondent dans des poèmes faussement naïfs et délicats, à l'extrême limite de la musique. La poésie du " Satanique Docteur " s'y déploie dans une maîtrise stylistique absolue et une grande variété de formes originales.
Impression fausse
Dame souris trotte,
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.
On sonne la cloche,
Dormez, les bons prisonniers !
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.
On peut noter l'emploi fréquent de vers impairs :De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.
Mais aussi d'immenses vers de 13 pieds pour raconter, ou plutôt exprimer son séjour dans la babylonesque London :
Londres fume et crie. Ô quelle ville de la Bible !
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Épouvantent comme un sénat de petites vieilles.
Le poète des demi-teintes et de la douceur crée même un système d'écriture nouveau dans l'Almanach :
L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ?
Verlaine y atteint l'état de " Fils du Soleil ", dont Rimbaud parle dans son poème Vagabonds. Il remue son passé comme une boîte à musique étrange :
Avec les yeux d’une tête de mort
Que la lune encore décharne,
Tout mon passé, disons tout mon remord
Ricane à travers ma lucarne.
Avec la voix d’un vieillard très cassé,
Comme l’on n’en voit qu’au théâtre,
Tout mon remords, disons tout mon passé
Fredonne un tralala folâtre.
Ce recueil est l'aboutissement de la démarche esthétique initiée dans les Romances sans paroles. Il y met également un terme.
Quels rêves épouvantés, Vous grands murs blancs ! Que de sanglots répétés, Fous ou dolents ! Ah, dans ces piteux retraits Les Toujours sont les Jamais !
Le recueil, maudit comme son auteur, ne verra jamais le jour. Après avoir essuyé des refus de la part de tous les éditeurs, Verlaine, sorti de prison, démonte son " libelle " mort-né, et disperses ses poèmes qu'il recycle dans ses recueils suivants. Ces textes éparpillés, et l'aventure dont ils témoignent, contribueront largement à la gloire et à la réputation sulfureuse de Verlaine.
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