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vendredi 9 septembre 2011

Mauvais augure...

                                                                                        Vendredi 9 septembre 2011, 3h17

Aller chez le médecin est toujours une épreuve pour moi. D'avance, je sais que la consultation se clôturera sur une série de troubles du comportement fatigants, répétitifs, usants : dix ans de travaux forcés à casser des cailloux dans la cage aux angoisses m'ont rendu familier de cet autre « Moi » qui se débat comme il peut dans son enfer personnel, mon corps, cette prison, dont il prend le contrôle pour exorciser ses malédictions avec des gestes étranges : sorcier d'un genre nouveau, j'aurai passé la moitié de ma vie à me battre avec mes fantômes, à me laver de la laideur du monde qui m'entoure, de la jalousie, de la haine, de la mesquinerie, seul, toujours désespérément et totalement seul.

Car c'est là l'un des grands objets de mes rituels : me débarrasser des autres. Les tenir à distance, loin de moi. Je me débats sous des vagues violence qui s'abattent sur moi à défaut de s'abattre sur ceux qui les soulèvent : je protège - bien involontairement - ceux qui me qualifient de fou. Parce que je suis un être trop civilisé pour rendre œil pour œil et dent pour dent le mal qu'on me fait, on me dit aliéné ; je suis rayé du bottin mondain, mis à l'index, POINTE DU DOIGT, regardé de travers, effacé de la réalité. Je suis un gentilhomme trop éduqué dans la cage aux fous, et mes camarades de détention ont décidé de me lyncher. Quant à mes amis : au premier trou dans la coque, les rats ont quitté le navire.

Ces derniers jours, j'ai croisé beaucoup de cons, en particulier dans mes démarches en quincaillerie*. Je suis du genre paranoïaque, et je le sais. Je crois voir derrière chaque être humain un ennemi mortel. Je tâche donc de me raisonner, et de ne pas prendre toute réponse bête, toute incompétence flagrante, tout manque de bonne volonté, toute attitude mesquine ou tout regard désagréable contre moi. ça a été très difficile dans les premiers temps, et ça le reste souvent. Les gens bien supposent toujours l'existence chez l'autre d'un être affable, courtois, bien éduqué, et ayant un haut sens du bien commun, à tort, bien évidemment, puisque quatre-vingt dix pourcents des êtres qui nous entourent sont des névrosés narcissiques, des crétins malpolis, sales, limités, mesquins, complexés donc agressifs, manquant totalement de sensibilité, débordant sur l'espace des autres, indifférents, obsédés par leur petite personne, par l'idée de plaire, d'être aimés, ou de baiser, frustrés vides couverts d'un vernis superficiel. Bref : les cons se donnent une contenance, et ils vivent. Ils sont partout autour de nous.

La grande ville, dans laquelle on croise en permanence des inconnus à qui on n'aura pas de comptes à rendre, parce que la probabilité de les recroiser est quasi nulle, est leur royaume. La grande ville débride la connerie : les cons se sentent pousser des ailes à l'abri de l'anonymat, au milieu de la foule. Ils sont malpolis, polluent, insultent, bousculent, nuisent, fraudent, regardent avec insistance, lorgnent, reluquent, tripotent, trépignent, enfreignent la loi. Ils se sentent comme des cochons dans une immense mer de fange, et se roulent allègrement dedans, à l'abri de tout jugement et du bâton du fermier. Au jour d'aujourd'hui, je ne me demande plus : « pourquoi les cons sont cons ? ». Et surtout, SURTOUT, je ne cherche plus la réponse en moi. Non, ça n'est pas de ma faute. Il y a des cons dans l'absolu, et ceux qui le sont avec moi le sont à plus forte raison, étant donné que je suis quelqu'un de bien. Si je commence à me pencher sur chaque con pour comprendre pourquoi il est con, j'y passe ET j'y perds ma vie. Je préfère passer mon tour. La médiocrité et la petitesse des autres leur appartiennent, je leur laisse ça volontiers sans m'en charger le dos.

Après mon rendez-vous chez le médecin, j'ai décidé de rentrer à pied pour me détendre. Tout ne s'est pas exactement déroulé comme prévu : un bus fou a essayé de m'écraser, volontairement : il a accéléré en me dévisageant pendant que je marchais tranquillement sur les clous. Après cet épisode fâcheux, j'ai décidé de basculer vers les bords de Seine. En général, l'eau me détend, et il y a moins de monde. Je suis tombé sur un cygne blanc mort et à moitié en décomposition dans l'écluse qui relie le fleuve aux canaux de Bastille. Plus loin, sur les quais, j'ai croisé un pigeon mort sans tête. Je ne suis pas superstitieux, mais si je l'étais, j'aurais dit que tout ceci était de mauvais augure. Ma promenade m'a abattu. Les bords de Seine étaient imbibés d'urine, couverts de déchets, hantés de gens louches. L'épisode du bus m'avait déjà rendu mélancolique : le reste du chemin a fini de détacher la colique de mon humeur mêlant...  solitude et envie d'ailleurs : pof, une grosse bouse, c'est le monde, là, face à moi. La laideur me fait l'effet d'un crachat sur le visage. J'ai fini ma promenade dans une ville grise, sous un ciel gris, triste, comme ma journée, et comme moi.

* ça doit les attirer : le con est bricoleur, il doit avoir la fibre quincaillère, et finit vendeur ou caissier chez Leroy-Merlin ou au BHV.

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